Ahhhhh l’année 2005 ! Mais que s’est-il passé il y’a quinze ans ? Souvenez-vous, le lancement de la TNT avec ses 14 chaînes gratuites. Les Français disent non à la constitution européenne lors du référendum de mai. Coté musique, les tubes de l’été sont interprétés par Juanes avec “La camisa negra” et Magic system auteur de “bouger bouger” (heureusement pour mes oreilles, à l’automne Depeche Mode sortira Playing the angel, son onzième album studio). 2005 c’est la naissance du Pro tour (ancêtre du World tour), nouveau format voulu par l’UCI. Une équipe s’annonçait redoutable pour cette saison : T-Mobile.
Maillot rose et blanc, la formation allemande compte sur son leader absolu Jan ULLRICH. Le palmarès du natif de Rostock compte déjà le tour de France 1997, la Vuelta 1999, le tour de suisse 2004, deux titres de champion du monde contre la montre (1999 et 2001). Il faut une grande équipe pour avoir un grand leader, le futur champion olympique Alexandre VINOKOUROV se positionne en numéro 2. Un statut que Vino revendique en tant que spécialiste des courses à étapes. A son tableau de chasse figurent le Dauphiné 1999, le tour d’Allemagne 2001, le doublé Paris-Nice 2002-2003 et le tour de Suisse 2003. Vainqueur de l’Amstel gold race 2003, le Kazakh aura également des ambitions sur les Ardennaises. Autre spécialiste des courses à étapes et champion d’Allemagne en titre, Andreas KLODEN complète le trio magique. Dauphin de Lance ARMSTRONG sur le Tour 2004, l’allemand est lauréat en 2000 de Paris-Nice et du tour du Pays Basque. Meilleur jeune du Tour 2001, l’espagnol Oscar SEVILLA et Giuseppe GUERINI vainqueur à l’Alpe d’Huez lors du tour de France 1999, complètent une formation qui se veut redoutable en montagne. Tous seront alignés sur le Tour 2005. Matthias KESLLER, Daniele NARDELLO, Stephan SCHRECK et Thobias STEINHAUSER s’ajoutent à la liste pour participer à l’épreuve reine.
De cette sélection est écarté Erik ZABEL (oui, c’est bien père de Rick ZABEL lui aussi professionnel, dont la bouille enchantait le protocole des Champs pour accompagner papa). Pour sa dernière année dans l’équipe dirigée par Walter GODEFROOT, le sextuple maillot vert doit se contenter des courses d’un jour, du Giro et de la Vuelta. Vainqueur de la coupe du monde 2000, Erik ZABEL peut s’affirmer comme le leader de son groupe sur les classiques. Ceux qui en doutent doivent se référer à sa carte de visite. Paris-Tours 1994 et 2003, Milan-San Remo à 4 reprises (1997, 1998, 2000 et 2001), Amstel gold race 2000, HEW Cyclassics 2001 sans oublier 2 titres de champion d’Allemagne (1998 et 2003). Le vainqueur de Gand-Wevelgem 2003 Andreas KLIER est son bras droit, voire suppléant. Eric BAUMANN, lauréat de Paris-Roubaix espoirs 2000 sera lui aussi un précieux allié sur les Flandriennes. Grand espoir du cyclisme Russe, Sergueï IVANOV est triple champion de Russie (1998, 1999 et 2000) à l’aube de cette saison 2005. Bien plus qu’un équipier, le trentenaire combine classe et expérience. Il enchaîne d’ailleurs les top 10 dans les épreuves les plus prestigieuses (Plouay, Primavera, Amstel, tour des Flandres, Paris-Roubaix) et surtout signe une victoire dans le Tour en 2001. Tantôt Allemand, tantôt Suisse, à vélo, Steffen WASEMANN est un véritable Flahute ! Sur l’E3, Roubaix, Gand-Wevelgem il collectionne les podiums et s’offre le graal en 2004, En effet, il remporte un monument : le tour des Flandres ! Rolf ALDAG vient coordonner le tout. Dans les classiques, il endosse le rôle de capitaine de route. Lui aussi champion d’Allemagne (2000), il fut précieux dans les années 90 lors des trois grands tours gagnés par son équipe (Tours 1996 et 1997, Vuelta 1999).
Déjà bien composée, l’équipe recrute six coureurs pour se rajeunir et se renforcer. Les grimpeurs Espagnols Oscar SEVILLA et Francisco LARA-RUIZ ainsi que le sprinteur Allemand Olaf POLLACK viennent garnir les rangs. Bastiaan GILING et Bernhard KOHL quittent la section espoirs de Rabobank et rejoignent la formation germanique. Dernière recrue de la dream team, Marcus BURGHARDT est le seul toujours en activité. Aujourd’hui chez Bora-Hansgrohe, il fait désormais partie de la garde rapprochée de Peter SAGAN. Grâce à ses excellents résultats dans la catégorie espoirs, le jeune allemand tape dans l’œil des dirigeants de T-Mobile. Il signe son premier contrat pro en cette année 2005.
Feu d’artifice ou pétard mouillé ? La saison des classiques est mitigée, l’équipe est discrète sur les courses à étapes. L’année débute timidement, Alexandre VINOKOUROV n’est que 16ème de Paris-Nice, Andreas KLIER fait un peu mieux sur Tirreno-Adriatico où il termine 10ème. Chou blanc sur Milan-San Remo (pas de top 10), cependant les routes de l’E3 redonnent confiance. Alors que Tom BOONEN s’impose, KLIER est 2ème, Peter VAN PETEGEM complète le podium. Même casting et même ordre à l’arrivée du tour des Flandres, ZABEL et IVINOV se classent respectivement 4ème et 9ème. La machine semble lancée ? Pas tout à fait ! Erik ZABEL n’est que 9ème à Wevelgem, Paris-Roubaix est un échec, à l’image de la primavera, aucun coureur n’atteint le top 10. Idem sur l’Amstel et sur la Flèche Wallonne, les résultats sont inquiétants. Au football, on dirait de cette équipe qu’elle lutte contre la relégation alors qu’elle ambitionnait la Champion’s league. Fin avril, Alexandre VINOKOUROV marque un but important : il triomphe sur la doyenne des classiques, le monument Liège-Bastogne-Liège. Compteur enfin débloqué, T-Mobile se met en évidence sur les épreuves hors pro tour. Erik ZABEL remporte le grand prix de Francfort, Andreas KLÖDEN s’offre la 5ème étape du tour de Bavière, tandis qu’Eric BAUMANN et Bram SCHMITZ gagnent les 1ère et 4ème étapes du tour du Luxembourg. Alexandre VINOKOUROV signe une nouvelle victoire de prestige, il triomphe sur le Mont Ventoux lors de la 4ème étape du Dauphiné. Jan ULLRICH quant à lui gagne le contre la montre du tour de Suisse et conclut 3ème au général après neuf jours de course. Sergueï IVANOV devient champion de Russie pour la 4ème fois et Vino est sacré champion du Kazakhstan. Après ce mois de juin fantastique, les hommes de Walter GODEFROOT s’annoncent redoutables à quelques jours du tour de France, grand objectif de la saison.
Le grand départ du Tour est donné en Vendée, théâtre du contre la montre individuel long de dix-neuf kilomètres. Le premier duel à distance entre Jan ULLRICH et Lance ARMSTRONG tourne à l’avantage de l’Américain. Rendez-vous à Blois 3 jours plus tard, cette fois pour un chrono par équipes, avec la victoire de … Discovery channel. ARMSTRONG endosse alors le maillot jaune, il faudra être très fort pour lui subtiliser. La 8ème étape est dite accidentée, cadre idéal pour mettre en place les stratégies déstabilisantes. Les rose et blanc en profitent. KLÖDEN et VINOKOUROV se succèdent pour attaquer le Texan, ULLRICH tente également de mettre son rival en difficulté mais à l’arrivée, Lance ARMSTRONG reste en jaune. La route qui mène vers Courchevel (10ème étape) sera fatale à Jan ULLRICH et Alexandre VINOKOUROV qui perdent encore du temps, la victoire finale s’éloigne. Le lendemain, le champion Kazakh fait le show, il s’échappe sous contrôle toutefois de l’équipe américaine qui régule le peloton. Andreas KLÖDEN montre des signes de faiblesse et ne peut plus aider son leader (il abandonnera lors de la 17ème étape), pendant que VINOKOUROV file vers la victoire et reprend 1’15’’ aux meilleurs. Dominé depuis le début de la grande boucle, ULLRICH constate la suprématie d’ARMSTRONG qui sort des Alpes paré de la tunique jaune. L’allemand ne peut compter que sur le dernier contre la montre pour remonter au général et vise désormais un simple podium. Giuseppe GUERINI joue sa propre carte dans l’antépénultième étape, six ans après l’Alpe d’Huez (attention au public Pepe et essaie de sourire pour la photo), il triomphe cette fois au Puy en Velay. Le lendemain à Saint Etienne, Lance ARMSTRONG remporte le dernier chrono, Jan ULLRICH est bon 2ème et se hisse sur le podium du Tour au détriment de Michael RASMUSSEN. Le danois s’écroule (au sens propre comme au figuré), et descend à la 7ème place du général, ainsi dépassé par Alexandre VINOKOUROV. Alors 5ème à la veille des Champs, Levi LEIPHEIMER ne possède qu’une poignée de secondes d’avance sur Vino. Qui a dit qu’aux pieds de l’Arc de triomphe on ne récompense que les sprinteurs ? C’est vrai qu’un baroud pour s’octroyer la bonification a une grosse cote chez les bookmakers. Et pourtant ! A bloc dans la dernière descente, il parvient à faire une cassure à moins de trois kilomètres de l’arrivée en compagnie de Bradley McGEE et Fabian CANCELLARA. Rue de Rivoli l’avance est faible, mais suffisante pour y croire. McGEE démarre sous la flamme rouge, Vino le file, les compteurs voient rouge place de la Concorde, même CANCELLARA ne peut plus suivre. Incroyable, le champion Kazakh dépasse l’Australien et lève les bras sur la ligne. Au delà de l’acquisition in extremis de la 5ème place du général, VINOKOUROV offre un moment de stress, de sport et suspens rarement vécu. T-Mobile est récompensée sur le podium protocolaire, elle reçoit le prix de la meilleure équipe sur ce Tour 2005.
Un mois plus tard, Jan ULLRICH gagne le contre la montre du tour d’Allemagne et finit 2ème au général, puis Sergueï IVANOV apporte une nouvelle victoire début septembre sur le tour de Grande Bretagne. De la fin de saison, retenons le succès d’Erik ZABEL qui remporte au sprint la classique Paris-Tours.
Jean de la Fontaine, aurait-il conclut cet article en écrivant que la montagne accouche d’une souris ? Ne soyons pas si sévères, car T-Mobile a remporté le monument Liège-Bastogne-Liège avec la manière, et a fait un très beau tour de France malgré la domination de Discovery Channel. Il s’agit bien là d’une équipe de rêve, comptant dans ses rangs des coureurs du « All of fame ». 2005 montre la fin d’un cycle qui a connu son apogée avant la renaissance de Lance ARMSTRONG.