En 1969, un match entre le Salvador et le Honduras est en partie à l’origine de la « guerre du football », terme utilisé par le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski pour décrire un conflit armé qui coûta la vie à des milliers de personnes quelques jours après la rencontre.
Au football est souvent prêté la qualité de catalyseur des passions, un sport dont l’écho dépasse largement les tribunes des stades et résonne dans nos sociétés modernes. Mais la frontière entre adoration et folie est parfois mince, et s’il existe un continent où elle est aisément franchie, c’est l’Amérique du Sud.
Des relations tendues
Dans les années 1960, le Salvador et ses 4 millions d’habitants jouissent d’une forte industrialisation par rapport à ses voisins d’Amérique Centrale, en étant notamment le troisième exportateur de café d’Amérique Latine en 1965. Un fossé se creuse dans la société salvadorienne entre riches propriétaires et paysans pauvres, accentué par le manque de place dans ce pays de 23 000 km².
Une partie de ces derniers décide alors de tenter sa chance au Honduras, pays frontalier qui ne comporte que 3 millions d’habitants étalés sur une superficie cinq fois plus grande que celle du Salvador. Parfois de manière clandestine, de nombreuses terres jusque-là inoccupées sont exploitées par des salvadoriens, si bien qu’on estime à 300 000 le nombre d’immigrés en provenance du Salvador présents au Honduras, soit 10% de la population hondurienne et 20% des ouvriers ruraux du pays.
Le général Arellano, qui dirige alors le Honduras avec des idéaux nationalistes, mène une campagne xénophobe à l’encontre de la population salvadorienne qu’il accuse de « colonisatrice ». Une politique de persécution à l’encontre des immigrés salvadoriens est instaurée et appuyée par la presse, exacerbant la haine entre les deux pays. De nombreuses familles sont renvoyées au Salvador à partir de 1968, certaines étant mêmes assassinées par la Mancha Brava, une milice hondurienne profondément anti-Salvador. De l’autre côté de la frontière, ces violences font grimper l’hostilité envers le Honduras. En 1967, des troupes en provenance du Salvador s’étaient déjà introduites en territoire hondurien pour protester contre la politique menée par Arellano, et il fallut une intervention des Etats-Unis pour éviter une première guerre.

Le football, terrain des premiers affrontements
C’est dans ce contexte pour le moins compliqué que le Salvador et le Honduras s’apprêtent à s’affronter dans le cadre des éliminatoires pour la Coupe du Monde 1970 au Mexique. Le match aller a lieu le 8 juin 1969 à Tegucigalpa, la capitale hondurienne. La nuit précédant la rencontre, les supporters des Catrachos mènent la vie dure aux visiteurs et défilent sous l’hôtel des joueurs du Salvador avec explosions de pétards, jets de cailloux sur les vitres et concerts de klaxon. Exténués, les Salvadoriens s’inclinent logiquement 1-0. Cette défaite est très mal vécue au pays et provoque même le suicide d’Amelia Bolanos, 18 ans, qui n’aurait « pas supporté que la patrie soit mise à genoux » selon le journal salvadorien El Nacional. La mort de la jeune fille est instrumentalisée par le pouvoir pour faire grimper la xénophobie envers le Honduras. Après des obsèques nationales retransmises à la télévision et à laquelle l’ensemble du gouvernement et de l’équipe de football ont assisté, le Salvador se prépare à accueillir son voisin pour le match retour qui a lieu le 15 juin.
Les supporters de La Selecta empêchent à leur tour les joueurs du Honduras de dormir, ces derniers étant même visés par une bombe artisanale qui, bien heureusement, n’explosa pas. Le Salvador s’impose finalement 3-0 lors de cette deuxième rencontre, marquée par la présence d’un chiffon usé en lieu et place du drapeau hondurien lorsque les hymnes retentirent. A l’issue de la rencontre, deux supporters honduriens trouvent la mort lors d’affrontements entre supporters mêlés à des groupes nationalistes.
La différence de buts n’ayant à l’époque aucune importance, cette victoire oblige l’organisation d’une troisième rencontre sur terrain neutre, dans un climat toujours plus délétère. Après avoir dénoncé les persécutions subies par ses ressortissants auprès de l’Organisation des Etats Américains (OEA), le Salvador rompt ses relations diplomatiques avec le Honduras le 27 juin 1969. Le lendemain, les deux équipes se retrouvent à Mexico pour ne se disputer, en théorie, qu’une place en barrages pour la Coupe du Monde 1970. Le Salvador s’impose 3-2 en prolongations d’une rencontre rythmée par des violences en tribunes et des accusations de tricherie provenant du camp hondurien. La tension entre les deux pays est alors à son point culminant.

Devant le silence de l’OEA, le Salvador envahit le Honduras le 14 juillet 1969 et bombarde l’aéroport de Tegucigalpa. En face, les Honduriens résistent et répliquent en s’attaquant à la plus grande raffinerie du Salvador. L’OEA intervient finalement le 18 juillet pour mettre un terme à ce qui sera également appelé « la Guerre des Cent Heures ». Le Salvador obtient ainsi l’arrêt des exactions à l’encontre de ses ressortissants en échange du retrait de ses troupes, manœuvre qui n’aura lieu que le 3 août. Bilan de cette guerre du football : entre 3000 et 6000 morts, environ 15 000 blessés, 100 000 Salvadoriens expulsés du Honduras et un traité de paix qui ne sera signé qu’en 1980.
Après une victoire en barrages contre Haiti, le Salvador est dominé par la Belgique (3-0), le Mexique (4-0) et l’URSS (2-0) lors de la Coupe du Monde 1970. Ça valait bien une guerre…