Entre la fin des années 1950 et les années 1960, le catch est au pic de sa popularité en France. Cela coïncide avec la présence sur le ring de la plus grande vedette du catch français, l’Ange Blanc. Souvent imité, jamais égalé, il était l’incarnation du bien triomphant sur le mal.
7 janvier 1959. Pour la première fois, le public du Cirque d’Hiver et les téléspectateurs devant leur télévision voient arriver sur le ring un catcheur intégralement vêtu de blanc et masqué. Un masque aussi blanc que le reste de sa tenue. Personne ne le sait encore, mais cet « Ange Blanc » va devenir l’incarnation du catch français, et ce, jusqu’à maintenant. Mais encore plus que le catch français, l’Ange Blanc personnifie à lui seul son époque. Nous sommes en 1959, la Ve République vient de naître après la nomination du Général de Gaulle, revenu aux affaires. Les français ont besoin d’espoir, ils ont envie de se sentir revivre et d’aller de l’avant. Et c’est ce que va rapidement devenir l’Ange Blanc. Un espoir, mais aussi une possibilité de s’évader. Et quoi de mieux comme destination pour respirer de nouveau de Caracas ? Car le fameux Ange Blanc n’est pas français, mais vénézuélien. En tout cas, c’est ce qu’annonce Roger Couderc lorsqu’il commente les combats de son poulain. Effectivement, c’est à l’inoubliable commentateur des matchs de rugby du XV de France des années 60-70 que nous devons la création de l’Ange Blanc. « Alex Goldstein [promoteur et directeur du Cirque d’Hiver] m’a présenté plusieurs catcheurs et je lui ai dit que cela serait bien qu’il y en ai un qui batte tous les méchants. Il m’a montré un espagnol, Francisco Pina. Je lui ai dit qu’on allait le faire venir de Caracas, car Barcelone on y va à bicyclette tandis que Caracas… » Après quelques esquisses du commentateur pour le costume, l’Ange Blanc était né. Et selon le souhait de Roger Couderc, il allait rapidement battre tous les méchants.
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Une rivalité légendaire
Tout bon héros a son rival. Batman a le Joker, Messi a Ronaldo, Stone Cold a The Rock, et l’Ange Blanc a le Bourreau de Béthune. Ce dernier est aussi méchant que l’Ange Blanc est gentil. Cette rivalité va rythmer le quotidien des spectateurs et téléspectateurs pendant des années. Oui, parce qu’en plus d’être une opposition entre le bon et le vilain, les combats entre les deux sont également des oppositions de style. À l’époque, beaucoup de catcheurs sont des anciens haltérophiles, très grands et massifs. De véritables colosses. L’Ange Blanc va lui à l’encontre de ces normes. Plus petit, il était beaucoup plus agile et technique que ses adversaires. Il n’avait pas peur de grimper sur les cordes pour s’élancer vers ses ennemis. Sa technique et son agilité lui permettent de rester invaincu pendant un an et demi. Il remporte des combats face aux catcheurs les plus forts de son époque comme le bourreau de Béthune bien évidemment, mais aussi Roger Delaporte, le Vampire de Düsseldorf ou Guéret qui se sont tous inclinés face à lui. Son aura se fait de plus en plus croissante, à tel point qu’il dépasse le simple cadre du catch.
“Le plus formidable succès sportif de l'après-guerre”
La popularité de l’Angle Blanc est si importante dans les années 1960 que de nombreuses histoires et rumeurs, bien alimentées par Alex Goldstein et Roger Couderc, se propagent. Lorsqu’il ne combat pas les malveillants au Cirque d’Hiver, il se dit qu’il est le chauffeur d’Alain Delon, mais aussi le garde du corps du Général de Gaulle en personne. Le même personne qui, lors de son retour, incarnait l’espoir et le renouveau.
Célébrité rime avec cachet. De ce point de vue là, l’Ange Blanc n’est pas à plaindre. Selon Christian-Louis Eclimont, auteur du livre « Catch l’âge d’or : 1920-1975 », il serait le premier catcheur à gagner 300 000 francs par match, soit environ 45 000 euros. Une somme colossale. Ce succès fera dire à Alex Goldstein que l’Ange Blanc est « Le plus formidable succès sportif de l’après-guerre ». Il dépasserait donc Marcel Cerdan ou Louison Bobet, immenses vedettes de leur temps, mais aussi Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, qui se tiraient la bourre sur le Tour de France chaque année, André Bonniface, Alain Mimoun, vainqueur du marathon des JO de Melbourne en 1956, ou encore la nageuse Christine Caron. Le catcheur est tellement populaire que tout le monde veut l’Ange Blanc dans sa ville. Que ce soit le vrai ou non.
L'ange blanc perd son masque et sa popularité
Interrogé à la télévision suisse, Roger Couderc se rappelle une anecdote lors de la deuxième apparition de l’Ange Blanc sur le ring. « Un gars se met à siffler et vient près de moi. Il me dit ‘’c’est du chiqué votre Ange Blanc pourquoi il ne vole pas ?’’. » Effectivement, il ne vole pas. Mais au fil du temps, il semblerait qu’il ait développé un don d’ubiquité. Au sommet de sa popularité, il était possible de voir l’Ange Blanc catcher au Cirque d’Hiver, à Roubaix, Lyon ou Vannes le même soir. Chaque promoteur voulait son Ange Blanc. Le masque était donc porté par un autre catcheur. Si cela a plu quelques temps aux spectateurs des petites villes de province dans l’impossibilité de se rendre à Paris pour voir la star, le subterfuge a vite lassé. À la fin des années 1960, l’Ange Blanc fut obligé de se démasquer. Devant la France entière, il dévoile son véritable visage. Celui de Francisco Pina, un Espagnol au visage rond et enjoué. Malheureusement, la carrière de Francisco Pina ne pris jamais son envol. Il n’est pas aussi charismatique que son alter ego masqué et il se retire petit à petit du ring. Dans les années 80, Pina est retourné en Espagne pour devenir antiquaire. Malgré cela, l’Ange Blanc reste, encore à ce jour, l’incarnation de la victoire du Bien contre le Mal et l’illustration de la notoriété du catch hexagonal.
Aujourd’hui, le catch français retrouve de belles couleurs grâce à des talents comme Senza Volto ou Tristan Archer. Peut-être que parmi l’ensemble de catcheurs et catcheuses se trouve l’égal de l’Ange Blanc, et qu’il permettra au catch français de retrouver les sommets.
Thomas Porcher.