Défait à la surprise générale contre l'Écosse vendredi au Stade de France (23-27), le XV de France a provoqué un raz-de-marée de critiques à la hauteur des espoirs et des promesses qu'il laisse entrevoir depuis un an et demi. Hystérie, culture de la lose, complexité française, cette équipe de France est victime de son nouveau statut.

 

Perte du goût et de l'odorat. Symptômes significatifs du coronavirus, mais aussi du profond coma dans lequel était plongé le rugby français pendant plus d'une décennie. Entre défaite en Italie et à domicile contre les Fidji, nul face au Japon, fond de jeu inexistant, joueurs dépassés et staff technique aux abois, les suiveurs du XV de France ont eu le temps de manger leur pain noir. Ferveur disparue, Stade de France quasiment vide et surtout sentiment que le soleil ne se lèverait peut-être plus sur la planète du rugby bleu, l'équipe de France de rugby était devenue l'étendard de la fameuse “french lose”.

 

Amour, gloire et beauté   

Le chemin vers la rédemption commence lors de l'année 2019. Après la Coupe du monde au Japon, où le XV de France s'est incliné en quart de finale face au Pays de Galles (20-19), Fabien Galthié est intronisé sélectionneur des Bleus. Avec également les arrivées de Raphaël Ibañez en tant que manager général et de Shaun Edwards, ancien entraineur de le défense du XV du Poireau, comme responsable de la défense, le XV de France change progressivement de statut, et devient l'équipe à abattre. Génération dorée, jeu flamboyant, défense de fer, état d'esprit irréprochable : les observateurs s'enflamment et voient déjà cette équipe prendre rendez-vous pour le 28 octobre 2023, date de la finale de la prochaine Coupe du monde, au Stade de France. À tort, à raison, l'hystérie collective est à la hauteur de l'espoir retrouvé, après une décennie de déceptions, de peines de cœur, de faux espoirs et de vraies désillusions. Ce XV de France retrouve l'amour du public, du beau jeu, une jeunesse dorée, mais aussi toute l'exigence qui va avec.

 

D'équipe de seconde zone à potentielle championne du monde

Il faut dire qu'en l'espace de deux ans, les Bleus sont passés d'une équipe en décrépitude à une nation dominante, programmée pour remporter la prochaine Coupe du monde qui se déroulera en France. Dupont, Ntamack, Jalibert, Thomas, Penaud, Dulin, Fickou, Ollivon, Ramos, l'équipe de France possède dans ses rangs quelques-uns des meilleurs joueurs du monde, avec une marge de progression exponentielle. Un réservoir d'une qualité et d'une profondeur vertigineuse qui amène, forcément, à tous les fantasmes, même ceux qu'on pensait irréalisables il y a encore un an.

C'est pourquoi, finir deuxième du Tournoi des Six Nations est devenu un échec pour cette équipe au talent indéniable. Après une défaite controversée face à l'Angleterre (23-20), et une autre à la maison contre l'Écosse (23-27), la France est passée d'un Tournoi réussi à une immense déception. Du moins, c'est ce que certaines réactions d'observateurs après la défaite contre l'Écosse ont laissé entendre. Ces dernières répondent parfaitement à la fameuse culture de l'instant qui prédomine dans le sport depuis de nombreuses années. La question du bilan à tirer du Tournoi des Bleus est cependant légitime, bien qu'un nombre important de facteurs extérieurs auraient pu venir chambouler cette appréciation tout au long de la compétition. Pour preuve, sans un arbitrage partial en Angleterre, la France l'aurait sans doute emporté, et c'est alors avec certitude que Brice Dulin aurait, dans ce même schéma, tapé le ballon en touche pour décrocher le Grand Chelem, vendredi dernier. À l'inverse, il n'y aurait eu aucun scandale si les Bleus s'étaient inclinés en Irlande ou face au Pays de Galles au Stade de France, ce qui aurait là aussi changé la nature dans notre jugement.

 

Non, le XV de France ne va pas remporter tous ses matchs avec 20 points d'écarts. Non, les Bleus ne sont pas redevenus les matelots dépassés d'un bateau ivre qui tangue à la moindre bourrasque (malgré des dernières semaines plus compliquées). Mais oui, cette équipe progresse et peut toujours avoir l'ambition d'être à un niveau lui permettant de croire au titre de champion du monde en 2023. Peu importe les péripéties, il ne faut jamais oublier d'où l'on vient. Mieux, il est nécessaire de s'efforcer d'être lucide pour savoir où l'on en est, et où on veut aller. Mais cette ambition s'accompagnera toujours d'une peur qui provoquera ces réactions démesurées, comme par exemple celle de se gaufrer.

 

Crédit photo : L'Équipe