Une Coupe du Monde, dans n'importe quel sport, reste un moment à part dans sa mémoire. Des matchs à répétition, des oppositions qu'on n'a pas l'habitude de voir, et forcément des rencontres qui sont ancrées dans les têtes des supporters.

Le rugby n'y fait pas exception, même si la première compétition du genre n'est pas si vieille que cela : 33 ans exactement. 9 éditions depuis, et des moments inoubliables, conclus sur des victoires pleines de panache, ou au contraire des défaites les plus cruelles : chacun a évidemment sa propre vision et ses propres souvenirs.

Pour faire passer ce satané confinement un petit peu plus vite, la rédaction de We Sport FR a décidé de relater les 10 matchs historiques des Bleus en Coupe du Monde : plusieurs époques, des joueurs et équipes différentes, mais les émotions sont encore au rendez-vous…

Le contexte

Quatre années que l'apartheid a été officiellement abolie en Afrique du Sud, mais un pays qui fait encore face à ses démons malgré l'apparente union de son peuple.

En coulisse, le nouveau président de la nation Arc-en-ciel, Nelson Mandela, oeuvre de toutes ses forces pour que les Springboks remportent la Coupe du Monde qu'ils organisent à domicile, afin qu'ils soient le symbole d'un pays uni et vainqueur.

Et cela passe évidemment par des petits arrangements : les Boks, privés depuis plusieurs années de rencontres internationales, ne sont plus l'équipe tant redoutée, et doivent leur présence dans le dernier carré grâce à un supplément d'âme que leur offrent leurs supporters…

En face, c'est l'année des Bleus : si leur Tournoi des V nations 1995 n'est pas une réussite, avec une troisième place, les Français ont impressionné en phase de poule et dans leur 1/4 de finale, remporté brillamment 36-12 face aux Irlandais.

Le pack est monstrueux, composé d'hommes forts et rugueux, et les 3/4 sont emmenés de main de maître par une charnière joueuse, Galthié et Deylaud.

Alors au moment de rentrer dans cette 1/2 finale, on a clairement espoir pour le XV de France : hélas, l'enthousiasme est vite douché d'une part par la météo à Durban, mais aussi tout au long du match par l'arbitrage plutôt bizarre de Derek Bevan…

L'équipe contre l'Afrique du Sud

Le déroulement du match 

La routine de la préparation, pour tout sportif, et encore plus pour ceux qui évoluent à haut niveau, est d'une importance capitale : les Français, qui aiment bien faire monter la pression dans les vestiaires, sont passés maîtres en la matière.

Mais il était écrit que rien ne serait normal dans cette rencontre : alors que Durban est connue pour son cadre idyllique, en ce 17 juin 1995, il tombe des trombes d'eau.

Première chose étrange dans cette rencontre : si la pluie, qui a formé par endroits sur le terrain des flaques d'eau, ne s'arrête pas, le corps arbitral décide malgré tout de faire jouer le match, sous prétexte de la pression des diffuseurs.

Crédit photo : RWC.com

Reporté d'une heure, puis encore de 60 minutes, l'attente paraît être une éternité pour les deux équipes, alors que le report aurait été bien évidemment une meilleure idée.

Mais ce n'était pas prévu au programme par les instances, et notamment le président de la fédération sud-africaine, qui a fait tout son possible pour que la rencontre se tienne le soir-même.

Au bout d'une interminable attente, les 30 gladiateurs pénètrent sur le terrain : pas besoin alors d'être un expert du rugby pour comprendre que les envolées sur les ailes vont être rangées au placard, au profit des ballons portés et des nombreux en-avants.

Un début de match totalement sud-africain… et une première décision douteuse de Derek Bevan

Ce sont les Springboks qui semblent avoir le mieux digéré cette préparation bizarroïde : d'entrée de jeu, ils poussent les Bleus dans leur retranchement avec leur agressivité typique.

Cela paye, avec la première pénalité réussie par Stransky, qui ouvre le score aux alentours de la 20ème minute (0-3, 21ème).

6 minutes plus tard, les Boks sont encore à l'attaque par le biais de leurs avants, qui enfoncent la ligne bleue : Roussow puis Du Randt sont arrêtés à quelques centimètres de la ligne.

Le ballon est relevé par toute la troisième ligne sud-africaine et Kruger est poussé dans l'en-but français : après une demi-seconde d'hésitation, Derek Bevan accorde l'essai, suscitant l'incompréhension des Bleus, qui semblaient avoir parfaitement bien défendu sur le porteur.

Le ralenti est on ne peut plus clair : il est difficile, voire impossible, de savoir si oui ou non le ballon a bien été aplati.
Même le troisième ligne des Boks expliquait plus tard qu'il n'avait pas marqué…

Simplement, l'arbitre en a décidé autrement, et n'a pas tremblé au moment d'accorder l'essai : étrange…

Transformé par Stransky, l'essai permet aux Boks de prendre de l'avance au score à la demi-heure de jeu (0-10, 27ème).

Et 2 minutes plus tard, ce même Stransky tente – et rate – un autre coup de pied.

La réaction française 

Un peu sonnés par ce qui s'apparente à une injustice, le XV de France repart à l'attaque : à la suite d'une touche où Benazzi récupère le cuir, les Sud-Africains se mettent à la faute.

Banco pour Thierry Lacroix, le meilleur réalisateur de ce Mondial, qui enquille les 3 premiers points de son équipe (3-10, 35ème).

Les Bleus ont alors compris qu'il allait falloir défier physiquement leurs adversaires du jour, et ranger leurs intentions de jeu au vestiaire : évidemment, cela fonctionne très rapidement, et Lacroix en profite pour rajouter 3 nouveaux points au pied (6-10, 37ème).

La mi-temps est sifflée sur ce score de 6-10 pour les Springboks, qui semblent avoir baissé le pied physiquement après une entame tonitruante.

L'injustice a un nom : Derek Bevan

Alors que les deux équipes reviennent sur le terrain sous une pluie toujours battante, la fatigue due à ce terrain très lourd se fait déjà sentir.

Crédit photo : The world news platform

Stransky par deux fois (43ème, 46ème) et Lacroix (44ème), continuent d'échanger les amabilités au pied, faisant gonfler le score à 16-9 au sortir des 10 premières minutes de cette seconde période.

La tactique est simple et identique de chaque côté : on joue au pied, on monte des chandelles et on impose une pression terrible à la retombée du ballon, en espérant au minimum un en-avant, au meilleur une pénalité ou une erreur qui pourrait conduire à un essai.

Derek Bevan, l'arbitre contesté lors d'Afrique du Sud – Australie au premier tour
Crédit photo : Getty

Les décisions de l'arbitre semblent très souvent être prises au petit bonheur la chance, notamment sur les ballons portés : à la 50ème minute, alors que les Boks récupèrent un ballon aérien, la charge des avants français les font reculer d'une vingtaine de mettre.

Le ballon, inutilisable, est alors rendu aux… Sud-africains !

Les Bleus commencent alors à s'énerver face aux décisions de l'homme en noir, tout en gardant suffisamment de lucidité à l'approche du money-time, dans un terrain qui ressemble désormais plus à une piscine qu'autre chose.

Les décisions commencent à se faire de plus en plus bizarres à expliquer : un mini-contact entre Gonzalez et Galthié est immédiatement sifflé par Mr Bevan, tout comme un en-avant pas forcément si en-avant que cela suite à une chandelle où N'Tamack récupère le cuir et s'effondre dans l'en-but…

Crédit photo : Le Républicain Lorrain

Mais les Bleus ne se découragent pas, bien au contraire : à l'usure, ils mettent les Boks à la faute suite à un ballon porté destructeur.

Lacroix ne tremble pas et rapproche son équipe à 4 petits points de ses adversaires (12-16, 58ème).

Crédit photo : The Citizen

Les deux équipes commencent alors à exploiter les premiers espaces laissés dans les défenses : suite à une action dantesque, où chacun essaye de relancer et de trouver la faille, Sella arrive à jouer un ballon au pied et à piéger Chester Williams, récupérant au passage une pénalité.

Hélas, Lacroix, si précis depuis le début du match, connaît son premier échec au pire des moments, et le score reste toujours de 12-16 à 15 minutes de la fin de la rencontre.

Les Springboks décident d'appuyer sur l'accélérateur pour reprendre leurs distances, et une chandelle envoyée par le demi-de-mêlée des Boks sème la panique dans la défense bleue.

Crédit photo : Daily Maverick

Sous pression, les Français résistent mais voient Mr Bevan arrêter le jeu suite à l'appel d'un de ses assistants : il s'avère qu'Olivier Merle assène un coup de tête qui ne touche que très peu son adversaire (assez miraculeusement d'ailleurs, et heureusement pour son nez), mais qui octroie aux Boks une pénalité.

Stransky transforme la sentence et remet 7 points d'écart entre les deux formations (12-19, 69ème).

Il reste alors dix petites minutes à jouer, sous une pluie diluvienne et une fatigue toujours plus poussée : ce sera à qui réussira à garder son calme le plus longtemps.

Les Bleus, avec l'énergie du désespoir, envahissent le camp des Sud-Africains : si ce n'esst pas toujours avec maîtrise, on sent bien que les Français sont plus en forme que leurs homologues en cette fin de match.

Le match bascule dans l'irrationnel

Les ballons portés s'enchaînent, et les avants français massacrent littéralement leurs adversaires : logiquement, ils devraient être récompensés… mais Mr Bevan en a décidé autrement.

Crédit photo : Daily Maverick

Plus tôt dans la rencontre, l'arbitre avait rendu le ballon aux Sud-Africains malgré le fait qu'ils soient sous pression et qu'ils enterrent le cuir : ici, ce sont les Bleus qui avancent et se rapprochent dangereusement de la ligne des Boks.

S'arrêtant quelques secondes avant de fournir une nouvelle poussée, l'édifice semble solide mais Mr Bevan décide que la pause est trop longue et rend le ballon… aux Springboks !

Incompréhension dans le camp du XV de France, qui n'en a hélas pas fini avec la pantalonnade…

Comme pour ajouter du suspense en fin de rencontre (ou pour calmer les Français), l'arbitre décide de donner une pénalité en face des poteaux : c'est cadeau pour Thierry Lacroix, qui offre 5 dernières minutes de folie à ce match déjà complètement dingue (15-19, 76ème) !

Benazzi et la ligne d'essai…

Les avants bleus, totalement dominateurs, martyrisent leurs homologues en mêlée fermée et dans tous les regroupements où l'affrontement physique fait foi.

78ème minute, une mêlée destructrice offre un ballon pour Galthié, qui transmet à Deylaud : l'ouvreur envoie une quille dans le ciel de Durban, qui retombe à 3 mètres de la ligne adverse.

Joubert, pourtant si habile depuis le début du match, perd ses nerfs et laisse tomber le ballon devant lui.

C'est alors que l'une des images les plus commentées du rugby se met en place : Benazzi, qui a bien suivi, récupère le ballon et fonce droit vers la ligne d'essai.

Crédit photo : Actu.fr

Arrêté sur celle-ci, il semble aplatir sur la ligne : plusieurs de ses coéquipiers autour de lui lèvent d'ailleurs déjà les bras.

Mais l'oeuvre de Mr Bevan n'était pas terminée, et il lui fallait clore son histoire de la façon la plus dramatique qui soit…

Si sur l'essai des Boks il avait pris le temps de regarder si le ballon avait été aplati ou non, sur l'action de Benazzi, à 1min30 de la fin de la rencontre, sa décision est prise très, très vite.

En effet, il décide, d'un air parfaitement décidé, de refuser l'essai au 3ème ligne des Bleus, et d'offrir la mêlée en guise de compensation, suite à l'en-avant de Joubert !

C'est l'incompréhension totale chez les joueurs et le staff français : si Deylaud tente de calmer ses coéquipiers, chacun y va de sa petite phrase envers l'arbitre gallois.

D'autant plus que Benazzi, après la rencontre déclarera qu'il a bien aplati sur la ligne…

Mais il reste encore un dernier espoir pour les hommes de Pierre Berbizier : mêlée à 5 mètres de l'en-but de l'Afrique du Sud.

Les avants continuent leur travail de destruction, mais ne sont bien évidemment pas récompensés par l'arbitre, qui a décidé de laisser tourner le chrono sans pénaliser les Boks et offrir un essai de pénalité au XV de France.

Quatre mêlées plus tard, le ballon sort pour Lacroix, qui est sous pression et recule : si on suit l'arbitrage de Mr Bevan, le ballon devrait revenir aux Bleus non ?

La réponse est évidemment non : l'homme en noir retrouve tout son bon sens et offre la qualification sur un plateau au peuple sud-africain.

Le match s'achève donc sur ce score de 15-19, c'est une véritable douche froide où la sensation amère de s'être fait voler côté français perdure encore aujourd'hui.

Hélas, quand la politique s'immisce dans le sport, on peut avoir des scénarios aussi improbables que celui-ci : il fallait que l'Afrique du Sud soit absolument championne du monde, quel qu'en soit le prix.

Et comme pour “terminer” les Français, le président de la fédération sud-africaine offrira même, à la réception suivant la rencontre, une montre en or à Mr Bevan, devant les yeux ébahis de toute la délégation française…

Pour terminer sur ce qui restera à tout jamais une polémique, citons le sage Abdellatif Benazzi, qui préférait dire que son essai refusé n'était rien face à la joie de tout un peuple…

Le résumé du match