Football

Homophobie dans les stades, la goutte d’eau ?

Interruptions de matches, interventions de personnalités politiques dans tous les médias, prise de position des clubs : la Ligue 1 a repris depuis à peine 15 jours et déjà les résultats sont occultés par l'actualité extra-sportive. Pour décrypter ce phénomène, WeSport a fait appel à un spécialiste de la question du supportérisme : Nicolas Hourcade, professeur de Sciences Sociales à l'Ecole Centrale de Lyon et auteur de nombreuses études sur le sujet.

 

Un contexte déjà tendu

La colère monte depuis un petit moment déjà chez les associations de supporters. Les interdictions de stade ou de fumigènes, les arrêtés incessants interdisant les déplacements de supporters, parfois pour des motifs pour le moins farfelus (ndlr : la Préfecture de Loire Atlantique a récemment pris un arrêté interdisant le déplacement des supporters Montpelliérains en partie car ceux-ci avaient… respecté l'interdiction de déplacement de 2016 !) et le dialogue avec la Ligue semble totalement inexistant. Dans ces conditions, on se serait bien passé d'une nouvelle polémique et d'un nouveau point de tension. Alors qu'on entendait parler depuis quelques semaines d'un possible retour des bières dans les stades, signe d'une tentative d'apaisement, les autorités ont finalement fait marche arrière préférant envisager dorénavant l'interdiction d'alcool dans toute l'enceinte (y compris les loges) pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité.
D'après Nicolas Hourcade, ce phénomène apparaît au mauvais moment. “Le conflit entre les supporters et la ligue était déjà profond avant cette saison, les interdictions de déplacement sont très mal comprises par les ultras qui se sentent persécutés et pris pour des “citoyens de seconde zone” pour reprendre leur expression. Dans ce climat, les groupes de supporters ont ressenti ces interruptions de matches comme une nouvelle attaque”.

 

Trop fort, trop brutal ?

Quasi absente des débats l'an dernier, l'homophobie dans les stades est devenue une vraie question de société sous l'impulsion de la Ministre des Sports Roxana Maracineanu, présente et choquée par les chants entendus lors du match PSG-OM. D'abord réticentes et relativistes (en mars 2019 Noël Le Graët, président de la Fédération Française de Football avait déclaré dans les colonnes du Figaro que la Fédération “n'avait de leçon à recevoir de personne”, vantant les progrès effectués depuis plusieurs années au niveau de la violence dans les stades), les instances du foot français se sont vues remonter les bretelles par la ministre. Et si Nathalie Boy de la Tour, présidente de la LFP avait prévenu en mars qu'il “fallait y aller par étape, par de la prévention et de la sensibilisation”, force est de constater que l'ancienne nageuse a eu le dessus. Et pour le sociologue, les autorités ont pris le problème à l'envers.
“La FIFA a ouvert la brèche en autorisant les interruptions de matches y compris pour les chants à caractère homophobe, et la Ligue, poussée par la Ministre, s'y est engouffrée, sans la moindre concertation ou avertissement sur les méthodes qui allaient être employées ou les sanctions qui risquaient d'être prises. C'est en grande partie ce qui provoque l'incompréhension et la colère des ultras, qui sont maintenant entrés dans une phase de provocation” analyse notre spécialiste.

 

Les prémices d'une prise de conscience

Si la Ligue a tapé fort d'entrée avec la suspension de la tribune Piantoni pour les chants entendu lors de Nancy – Le Mans le 16 août dernier, et devrait sanctionner également l'OGC Nice pour les banderoles apparues lors du match face à l'Olympique de Marseille, elle semble finalement amorcer un changement dans sa manière d'opérer. Devant les nombreuses critiques venues de tous les fronts (on a entendu par exemple le Président du Stade Brestois, via a un communiqué a réfuté le caractère homophobe des insultes qui ont entrainé l'interruption de Brest-Reims le week-end dernier),  elle a d'ores et déjà affirmé, lors de la commission de discipline du 28 août sa volonté de faire une distinction dans les chants “à caractère injurieux” et ceux “à caractère homophobes”. Ainsi on devrait voir apparaître une sorte de hiérarchie dans les sanctions, selon la gravité du terme employé, “pédés” n'ayant pas forcément la même connotation homophobe qu' “enculé”. Une réunion entre la Ligue et les associations de supporters le 5 septembre est d'ailleurs prévue. De quoi envisager une discussion productive ?
“Le raisonnement est pour l'instant trop binaire, on ne peut pas appréhender ces insultes de manière manichéenne. La plupart des supporters n’ont pas d’intention homophobe mais certains slogans, qui oscillent entre ironie et agressivité, peuvent être perçus comme discriminatoires. Même si c’est difficile, il faudrait arriver à mieux définir quels types d’insultes on veut sanctionner.. Pour sortir par le haut de cette crise, la Ligue doit impérativement travailler avec les groupes de supporters” prévient le sociologue.

 

Un phénomène inédit mais irréversible ?

Les autorités l'ont bien fait comprendre, ou plutôt l'ont fortement sous-entendu, l'objectif est de lisser, aseptiser les stades français. Malheureusement, cet objectif ne prend pas vraiment en compte la spécificité du football, sport populaire par excellence. En voulant faire du football le symbole de cette nouvelle société, le risque est de se mettre à dos toute une frange d'ultras qui utilisent les tribunes comme dernier espace de “liberté” et se sentent littéralement stigmatisés. Cependant le monde va dans ce sens et la suppression de toutes ces pratiques devra obligatoirement passer par là. Toutes proportions gardées, on peut essayer de faire le parallèle avec le racisme et le hooliganisme dans les stades.
Toujours selon notre spécialiste “la grande différence entre le football et les autres sports réside dans les clubs de supporters. Dans les autres sports, le supportérisme est individuel, dans le foot il est organisé, collectif. Le challenge sera de garder la ferveur et l'ambiance des stades tout en supprimant certaines pratiques qui sont inacceptables. Les intentions de la ligue sont louables, on voit qu'il y a un blocage, le fait qu'aucun joueur n'ait fait de coming-out est révélateur de la peur des conséquences que cela pourrait engendrer. L'évolution des mentalités sur ces sujets est indispensable. Mais il faut le faire sans stigmatiser les supporters et en respectant leurs droits”.

 

Cette fois la fracture entre supporters et Ligue de Football Professionnelle semble énorme. Si le comportement de certains pseudos-supporters qui donnent une bien mauvaise image de ce sport est évidemment à bannir, les manières d'agir des plus hautes instances du Football français n'ont certainement pas arrangé les choses. Déjà bien plus calmes que dans les années 90 par exemple, les supporters ont depuis plusieurs années amorcé des changements dans leur manière d'être, on ne pourrait que conseiller à certaines personnalités de faire pareil…

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