Dans une année où la pandémie mondiale de Covid-19 a chamboulé les programmations sportives et autres évènements planétaires (J.O, Euro, …), chaque sport a dû s’adapter pour survivre. Si 2020 restera une année morose pour bien des personnes, les douze mois qui la composent furent tout de même riches en émotions pour tout fan de sport. Du passage de la NBA à Paris aux records de Lewis Hamilton, en passant par les prouesses de Tadej Pogacar ou le Final 8 de la Ligue des Champions, la rédaction de We Sport revient pour vous sur les trente moments marquants de 2020. Aujourd’hui, retour sur la défaite de Teddy Riner au Grand Slam de Paris, la chute d’un géant qu’on pensait invincible.
En ce dimanche 9 février 2020, dans une AccorHotels Arena pleine, le public retient son souffle. Après sept ans d’absence, le roi Teddy Riner, dix fois champion du Monde et deux fois champion Olympique, est de retour dans son royaume sur le tatami parisien. La pandémie mondiale n’a pas encore frappé, et ce tournoi à la maison est inscrit dans le calendrier de l’Equipe de France comme une préparation grandeur nature de ce que seront les Jeux Olympiques du mois d’août.
Du fait de sa longue absence du circuit international, le grand Teddy a perdu sa place de numéro 1 mondial de la catégorie. Dès lors, il se trouve dans un quart de tableau où figure un favori au podium, le Japonais Kageura. Cela signifie aussi qu’il aura un premier tour à passer, lui qui en est généralement exempté par le tirage au sort.
09h53 : un réveil difficile
Ce premier tour trouve comme adversaire le Hongrois Sipocz, 3e aux championnats du Monde 2019 chez les juniors. Petit, gaucher et déterminé à être celui qui battra la légende, il multiplie les attaques en cherchant à passer sous le centre de gravité du Français, sans qu’il soit néanmoins nécessaire de s’alarmer pour celui-ci. Lui, prend le temps de se placer avant d’attaquer. Trop peut-être.
Pas en rythme, jamais surprenant, ce combat épuisera les 4 minutes imparties par le chronomètre et il faudra même attendre 2 minutes de golden score pour que l’arbitre inflige une ultime pénalité au Hongrois, qualifiant Riner pour le deuxième tour de la compétition.
11h59 : l'éclair du champion se fait attendre
Opposé au tricolore pour ce deuxième tour, c’est l’Autrichien Heygi qui se présente sur le tapis. Exempté de combat pour le premier tour, il arrive frais et montre dès la première séquence qu’il compte imposer son tempo. Néanmoins, c’est le double champion olympique qui place la première attaque, imposant son gabarit. Plus « dedans », il continue à tenter contre un adversaire qui baisse de régime et se met à adopter une attitude défensive exagérée.
Mais à la mi-combat, le public retient son souffle : un peu trop serein sur sa défense, Riner laisse l’Autrichien rentrer son mouvement d’épaule et décolle du sol. Avertissement sans frais pour cette fois, mais qui aura le mérite de le stimuler.
À partir de là, il ne concèdera plus une attaque et sera même tout près de faire chuter son adversaire par trois fois grâce à ses techniques de jambe. Le combat ira tout de même jusqu’au golden score, encore une fois, mais qui ne durera que 22 secondes avant que Riner enroule son adversaire sur un mouvement devenu en quelque sorte sa technique du désespoir.
Même si la victoire est à la clé, tout le monde voit que ce n’est pas le même champion que celui qui a décroché les dix titres mondiaux. S’il devait aller au bout, ce ne serait qu’à l’expérience ou sur un éclair de génie, loin de la facilité qu’il dégage depuis le début de sa carrière.
13h14 : après tout, ce n’est qu’un homme
Le premier vrai test de cette journée, le premier grand nom sur le chemin vers la médaille. Le Japonais Kokoro Kageura, entre autres vainqueur ici à Paris en 2018 et 3e en 2019.
Les combats se suivent et se ressemblent pour le décuple champion du Monde, puisque là aussi, l’adversaire est petit et gaucher. Certes il est difficile de trouver un combattant qui rivalise avec le physique hors normes du Français, mais cet enchainement a surement profité au Japonais qui a pu s’apercevoir de la difficulté qu’avait Riner à faire chuter ses adversaires avec pareille opposition.
Néanmoins, la première opportunité est côté tricolore mais il manque un peu de contrôle pour conclure le combat. Ensuite, plus grand-chose. Chacun cherche à poser les mains, fait lâcher l’autre, et le rythme se tasse. Sursaut peu avant la mi-combat, quand le Japonais se jette à genoux entre les jambes du Français, mais manque lui aussi de contrôle pour renverser son opposant. Les minutes s’égrainent jusqu’à la fin du temps réglementaire, chacun y allant de sa petite technique pour ne pas se faire sanctionner pour passivité.
Comme au combat précédent, le golden score ne durera pas longtemps. 35 secondes exactement, avant que le Français lance son mouvement de jambe, sans trop de déséquilibre, alors que son adversaire l’attendait.
La définition du judo s’est trouvée illustrée en une fraction de seconde, lorsque profitant de la vitesse de l’adversaire, le Japonais s’est décalé pour accompagner le mouvement, et faire chuter celui que la salle comble rêvait de voir gagner.
Emporté par son élan, le décuple champion du Monde n'a plus aucun appui et ne peut empêcher la chute.
(Crédit photo : IJF)
Presque 10 ans et 154 victoires, c’est sur ces chiffres que s’arrête la série d’invincibilité du champion tricolore. Et comme en 2010 lors de sa dernière défaite, c’est un Japonais qui l’empêche de triompher.
Mais là où le revers d’il y a 10 ans avait fait naître un désir de conquête et une aversion de la défaite qui avaient conduit à deux titres olympiques, cette chute aura presque un gout de libération. Comme il le dira devant les micros quelques instants plus tard, c’est un soulagement pour lui. En effet, il était présenté comme celui qui dépasserait le record de 203 victoires de rang, rajoutant une pression supplémentaire sur ses épaules.
Enfin, avec le report des J.O à l’été 2021, nul doute qu’il saura adapter sa préparation physique et mentale pour arriver affuté le jour J, et rappeler à tous que même à 30 ans passés et en ayant connu la défaite, il reste le meilleur judoka de la planète de ces 20 dernières années.
Crédit Une : (c) Di Feliciantonio Emanuele