Avant de devenir la star des salles de cinéma, Lino Ventura a arpenté les rings français, jusqu’à en devenir champion d’Europe. L’occasion de revenir à l’époque où « Monsieur Ventura » n’existe pas encore, mais où « Lino, la fusée italienne » distribue ses mandales entre les cordes.
Arrivé d’Italie pour la France en 1926, le tout jeune Lino se retrouve rapidement loin des bancs de l’école, à cause des humiliations causées par sa « tête de parmesan » comme il le racontera plus tard. Quand il ne travaille pas en tant que petit livreur, il traîne avec sa petite bande du square Montholon. C’est un lutteur qui le remarque parmi tous les jeunes. Ce dernier voit en la carrure de Lino Ventura un parfait lutteur gréco-romain, et il semblerait que ce lutteur ait eu le nez creux. Le jeune italien s’entraîne d’arrache-pied, jusqu’à devenir l’un des grands espoirs de ce sport si populaire et respecté à l’époque. Malheureusement, la guerre vient entacher ses rêves de gloire pour l’instant.
Il se retrouve donc enrôlé dans l’armée de Mussolini, alliée des Nazis. Une alliance qui pose problème à Lino. En plus d’avoir une pensée à l’opposé de ses supérieurs, que ferait-il s’il se retrouvait face aux membres de sa belle-famille, appelés sous le drapeau français ? C’est décidé, il déserte et retourne à Paris. Et c’est vers la lutte qu’il se tourne. La lutte l’a sauvée de la rue, elle le sauvera des Allemands. Ses amis du club l’aident à se cacher et à lui fournir de faux papiers. Ironie du sort, Lino continue de s’entraîner mais le club est situé dans le même immeuble que le journal parisien de la propagande allemande, le « Pariser Zeintung ». Lino se retrouve donc à s’entraîner à côté des membres de la Gestapo pendant quelque temps. La situation n'est guère plaisante et le lutteur décide de fuir Paris seul. Il ne revient dans la Capitale qu’une fois l’Armistice signé. Pile à temps pour remonter sur le ring.
Un titre et une jambe cassée comme fin de carrière
À la fin de la guerre, la lutte gréco-romaine a perdu de sa superbe. C’est le catch qui a pris le dessus. Les gens ont besoin de s’évader, d’extérioriser, et le catch est parfait pour cela. Tout comme Lino. En tant qu’italien, son rôle est tout trouvé : il sera un méchant. Et il tient son rôle à la perfection, comme le fait savoir Claude Brenachot, ancien catcheur et adversaire de Lino Ventura : « Ventura était un méchant. Il était l’italien impulsif et très violent. » Il était la « Fusée italienne ». Le jeune catcheur empile les succès, les fans en redemandent et les organisateurs sont heureux. L’Italien est devenu une star et fait partie des meilleurs catcheurs à l’orée des années 1950. Résultat, au début de l’année 1950, Lino Ventura est sacré Champion d’Europe des poids moyens.
Cependant, il ne va pas garder son titre très longtemps autour des hanches. Le vendredi 31 mars 1950, il remet son titre en jeu face à Henri Cogan. Ce dernier est alors l’un des meilleurs catcheurs de sa génération. Véritable superstar des rings, il est adulé par le public, mais aussi et surtout il a déjà remporté un titre mondial. Ce combat est attendu avec impatience et les deux lutteurs ne déçoivent pas. Durant plus de trente minutes de bataille, la fusée italienne et l’ex-champion du monde se rendent coup pour coup. Jusqu’au moment où Henri Cogan tente un enfourchement sur Lino Ventura. Ce dernier tombe alors sur sa jambe qui se brise. Dans un premier temps, Cogan pense que c’est l’une des planches du ring qui s’est cassée. Il raconte avoir eu un frisson d’horreur quand il a compris que c’était la jambe de son adversaire qui s’était brisée.
Fin de carrière pour la fusée italienne, qui comprend immédiatement qu’il ne remontera jamais sur un ring. Après s’être remis de sa blessure, désireux de ne pas s’éloigner du milieu du catch, Lino devient organisateur de combat et monte son écurie. « J’ai besoin de l’odeur des vestiaires » assure t-il. Et même s’il ne combat plus, il reste tout de même en grande forme et dans la force de l’âge, à peine âgé de 31 ans. Et ce sont sa forme physique et son charisme qui vont le mener vers sa seconde carrière. Une carrière qu’il n’envisageait pas, et qu’il a failli ne pas débuter.
De la salle de sport à la salle de cinéma
Tout part d’un seul coup de fil, celui qu’un de ses amis donne au réalisateur Jacques Becker. Ce dernier est à la recherche d’une force de la nature, un gorille, pour tenir tête à sa star Jean Gabin. « Touchez pas au Grisbi » est censé être le renouveau de l’acteur et pour cela, il faut un gorille face à la légende. Jacques Becker est enthousiaste et veut Lino Ventura dans son film. Mais cela ne l'intéresse pas. Il préfère rester avec ses poulains autour du ring. Et pour être sûr de ne plus être embêté par le réalisateur, il fait savoir qu’il ne participera au film qu’à une condition seulement : recevoir un cachet de 1 million de franc. Une somme colossale égale à celle des stars de l’époque. Persuadé que personne n’acceptera, il n’en revient pas lorsque la production accepte.
L’ex fusée italienne se retrouve donc face à Jean Gabin. Le film est un succès, Gabin retrouve son trône, félicite le jeune italien et la critique repère cet ex catcheur. Il enchaîne divers seconds rôles pendant trois ans avant un premier rôle de composition, celui du « Gorille ». Cette fois, c’est bon, sa nouvelle carrière est toute trouvée. Mais sa carrière cinématographique ne l’éloigne pas pour autant du monde du catch. Mieux, elle va lui permettre de prendre une petite revanche sur la vie et l’un de ses adversaires les plus tenace.
En 1963 débute le tournage des « Tontons Flingueurs ». Pour sa première comédie, Lino Ventura est entouré par un casting 5 étoiles avec Francis Blanche et Bernard Blier entre autres. Mais l’acteur italien retrouve également une vieille connaissance des rings en la personne d’Henri Cogan. Après sa carrière de catcheur, ce dernier est devenu cascadeur et en profite pour grappiller quelques minutes sur l’écran. Dans « Les tontons flingueurs », il occupe le rôle de tireur chez les méchants du film, face à Lino Ventura, mais il coordonne aussi les scènes de bagarre. Dans l’une d’entre elles, son personnage doit se battre face au personnage joué par Ventura. Lors de cette scène, plus les prises s’enchaînent plus les coups se rapprochent dangereusement de la mâchoire de Cogan. Et ce qui devait arriver arriva. Lino Ventura donna un grand coup de poing dans la mâchoire de Cogan qui l’envoya valser hors du cadre. La star s’approcha de l’ex champion du monde et lui dit : « Tiens, ça, c’est pour ma jambe ». Une réplique bien sentie à laquelle Henri Cogan ne répondit pas. Lino Ventura tient sa revanche, le tournage peut reprendre, avec le succès que l’on connaît.
Après avoir réussi sur les rings, il prospéra sur grand écran, mais sans jamais oublier d’où il vient : de la salle du Cirque d’hiver.