Après avoir été contrainte de déclarer forfait pour sa demi-finale de la Ligue des Nations face à l’Italie, la France tentera d’aller chercher la médaille de bronze le 30 octobre contre la Finlande. En amont du stage de préparation, Jean-Philippe Dinglor, head coach des Tricolores depuis 2019, nous a accordé un entretien pour parler de cette rencontre et du football américain en France.

We Sport : Bonjour Jean-Philippe, pourriez-vous rapidement vous présenter et présenter votre rôle au sein de l’équipe de France ?

Jean-Philippe Dinglor : Je m’appelle Jean-Philippe Dinglor, je suis head coach de l’équipe nationale, l’entraîneur en chef qui chapeaute tout. J’ai composé mon staff, c’est à dire tous les coachs qui vont gérer tous les joueurs qu’on aura sélectionné pour l’équipe de France pour aller participer ici en l’occurrence à la Ligue des Nations.

WS : Vous êtes en poste depuis 2019, mais la plupart de votre « mandat » a été entaché par la Covid-19…

J-P.D : Ça a été très compliqué effectivement, on a pu jouer des matchs de poule, mais après le Final 4 de la Ligue des Nations, qui était initialement prévu en 2020, a été reporté à cette année…

WS : Comment avez-vous géré cette période d’inactivité vis-à-vis de vos joueurs et des échéances pour l’équipe nationale ?

J-P.D : C’est une phase qui a été très difficile à gérer. Dans ce laps de temps, le groupe a évolué, il y a eu des changements, des joueurs qui entre-temps ont arrêté leur carrière et sont passés à autre chose. Il a fallu reformer former un groupe, un processus qu’on avait déjà commencé après le départ de certains cadres suite au titre de champion d’Europe. Il fallait déjà recréer une nouvelle équipe, une nouvelle entité, et avec cet aspect Covid-19 on n’a pas pu avoir de continuité. On a essayé de mettre des choses en place, mais à chaque fois il y a eu des confinement ou des choses compliquées, donc on a pas pu vraiment travailler jusqu’à ce printemps où on a relancé des choses malgré le fait que les joueurs, sur le sol français au moins, n’aient pas joué depuis 2019. On a fourni à nos joueurs un programme de préparation pour ceux qui n’avaient pas eu l’occasion de partir à l’étranger pour jouer, mais rien ne remplace la compétition. On avait un groupe qui n’était pas au même niveau quand on s’est présenté en Italie et qu’on a relancé l’équipe, et il y a toujours cette interrogation au niveau du Covid qui nous a causé quelques problèmes.

WS: Justement, vous deviez reprendre la compétition en août dernier face à l’Italie, mais la Covid-19 a une nouvelle fois eu raison de votre équipe…

J-P.D : Tous nos éléments n’étaient pas encore vaccinés, le panel de vaccination était à peu près le même que sur le territoire à ce moment-là, et on a eu quelques cas dans la sélection malgré toutes les précautions qu’on avait pris. On a donc fait le stage de préparation, et la veille du match on a eu un cas qui a remis en question toute la structure. On a été obligé de tester à nouveau tous les joueurs et tout le staff pour vérifier, et on a eu d’autres éléments après qui ont fait que nous n’avons pas pu défendre nos chances en tant que tenant du titre face à l’Italie.

WS : Comment vous et vos joueurs avez réagi à l’annonce de votre défaite sans disputer la rencontre ? Avez-vous trouvé cela injuste ?

J-P.D : Oui et non, c’est un peu injuste mais en tant que sport amateur c’est très compliqué de pouvoir rassembler à nouveau un effectif pour faire un nouveau déplacement en si peu de temps. C’était donc très difficile et je pense que cette solution (déclarer forfait, n.d.l.r) était sûrement la moins périlleuse et la moins coûteuse. Maintenant, il ne tiendra qu’à nous de faire valoir notre force lors de la rencontre pour la troisième place contre la Finlande, et montrer qu’on méritait autre chose que de se retrouver sur cette petite finale.

WS : Vous êtes désormais tournés vers le match pour la troisième place face à la Finlande, le voyez-vous comme une revanche pour montrer que vous êtes bien une des meilleures équipes d’Europe ?

J-P.D : Tout à fait, mais ce n’est pas une revanche, on veut prouver qu’on aurait mérité mieux. On veut montrer l’efficacité et le talent qu’on a dans cette équipe.

WS : Le stage de préparation n’a pas encore débuté, mais sentez-vous déjà vos joueurs mieux préparés que lors du précédent stage avant l’Italie ?

J-P.D : Oui effectivement, les joueurs sont, pour la plupart, mieux préparés. L’explication est très simple, tout d’abord nous avons certains joueurs qui n’étaient pas avec nous en Italie car ils jouaient en ELF (European League of Football), des éléments importants notamment parmi nos running backs et nos receveurs, qui étaient absents car ils n’avaient pas pu être libérés. Ensuite, les joueurs que nous avions sortaient de cette longue période de Covid-19 où il n’y avait pas d’intensité et pas de rencontres. Là, certains ont été jouer quelques matchs entre-temps et se sont donc remis dans le rythme, pendant que ceux qui n’ont pas joué ont repris une condition physique puisqu’ils préparent une nouvelle saison dans leur club. C’est toujours plus facile de se remettre en forme lorsqu’on est dans un collectif et qu’on a des objectifs sur une saison avec un préparateur qui nous suit plutôt que lorsqu’on est tout seul. Forcément, les joueurs seront donc plus en forme.

WS : Et peut-être plus déterminés ?

J-P.D : Je n’ai aucun doute sur la motivation de mes joueurs, à chaque fois qu’ils viennent avec l’équipe nationale ils sont surmotivés, et encore plus lorsqu’il s’agit d’aller chercher une médaille dans une compétition internationale.

WS : La Finlande est historiquement une des meilleures nations européennes (5 titres, 12 podiums en 14 éditions), quelles sont pour vous les forces et les faiblesses de cette équipe ?

J-P.D : La Finlande a toujours été une bonne équipe européenne, comme vous l’avez dit ils ont régulièrement performé et ont gagné plusieurs titres. Ça a toujours été une équipe rugueuse avec de gros gabarits ; ils sont très forts sur la course, c’est vraiment leur point fort. Il va falloir qu’on soit très solide défensivement pour contrôler ce jeu de course, et offensivement il faudra faire parler notre vitesse pour les prendre à défaut. Si on veut aller sur le défi physique, peut-être que ce sera plus compliqué pour nous.

WS : Vous attendiez-vous à retrouver les Finlandais pour disputer cette médaille de bronze ? Avez-vous été surpris par leur défaite face aux Suédois (défaite 14-22 le 7 août dernier) ?

J-P.D : Non, pas vraiment surpris. Selon moi, les deux équipes se tenaient. Ce sont un peu des frères ennemis, ils ont un jeu qui se ressemble donc je n’avais aucun a priori sur l’un ou sur l’autre. Au vu des derniers matchs des Suédois, on peut comprendre qu’ils méritaient amplement d’atteindre la finale.

WS : Vous évoluerez à Vantaa, une ville qui avait souri à l’équipe de France il y a trois ans (Championnat d’Europe 2018). L’objectif sera clairement d’y décrocher une nouvelle médaille européenne ?

J-P.D : Oui tout à fait, c’est certain. Comme je l’ai dit précédemment, ce n’est pas un esprit de revanche, c’est juste une motivation parce qu’on mérite, comme nous le pensons moi et mes joueurs, d’être à un niveau supérieur à celui auquel on se retrouve. Maintenant, il n’y a que la vérité du terrain qui pourra le justifier.

WS : Vous avez récupéré la sélection au sortir d’une victoire aux Jeux mondiaux et d’un titre européen, et avez ici l’occasion de monter à nouveau sur un podium. Certes, il y a eu du changement dans le groupe France entre-temps, mais jusqu’où cette génération peut-elle aller ?

J-P.D : Je pense qu’elle peut aller très loin car dans cette génération, il y a énormément de talent. Sur ces dernières années, et c’est pour cela que l’on a obtenu des résultats aussi probants, on a des joueurs très talentueux. Nos forces sont nombreuses mais, ce qui est très difficile, c’est de réunir tous ces talents et d’arriver à le modeler pour en obtenir le résultat final, de les amener à maturité et concrétiser. La vraie différence qu’il y a par rapport aux derniers titres, c’est le poste de quarterback, où on est nettement plus jeune en terme d’expérience que lorsqu’il y avait Paul Durand à la tête de l’escouade offensive. Lui est arrivé à maturité sur ces campagnes là alors qu’il jouait en équipe nationale senior depuis la campagne du Japon en 2007 : il a donc mis dix ans pour exploiter son plein potentiel.

WS : Il faudra donc laisser un petit peu de temps pour que le renouveau de cette génération arrive à maturité et obtienne de nouveaux résultats probants ?

J-P.D : Sur le poste de quarterback. Pour les autres positions, on a déjà des joueurs de très haut niveau. Le poste de quarterback est un poste essentiel, et il faut qu’il soit à l’aise dans le système et dans son leadership pour pouvoir amener ses coéquipiers avec lui. C’est un poste clé. On le voit bien en NFL avec Tom Brady qui a une aura extraordinaire et on peut, avec un joueur qui est leader, déplacer des montagnes. Effectivement, c’est peut-être là qu’on va devoir être un peu plus patient.

WS : Est-ce utopiste de rêver d’une première médaille mondiale dans deux ans en Australie ? Est-ce trop tôt ?

J-P.D : Oui, je dirais que c’est trop tôt. On a quand même autour de nous des nations qui sont très fortes, et nous Européens sommes un peu en retrait par rapport aux nations comme les États-Unis, le Canada, le Japon, et à un niveau moindre le Mexique, qui implantent le football américain dès le plus jeune âge et qui ont une structure universitaire pour développer leurs joueurs. Ils ont plus de facilités et il est donc plus difficile de rivaliser, mais il y a moyen dans les années futures d’obtenir des résultats, tout comme on pourra, j’en suis persuadé, sortir des joueurs du cru du giron français qui ont fait leurs classes au début en France et qui atteindront le niveau NFL. Nos athlètes sont mieux préparés, savent à quoi s’attendre, ont des objectifs très élevés et se donneront les moyens de les atteindre. On en est pas passé loin ces dernières années et je suis sûr qu’on y arrivera.

WS : Justement, de plus en plus de joueurs français évoluent aujourd’hui en NCAA, au Canada ou dans de bonnes équipes européennes. Est-il pour vous réaliste d’imaginer un français en NFL dans les cinq prochaines années ?

J-P.D : Je pense que c’est possible. Avec le potentiel de joueurs qu’on sort actuellement, avec les talents qui émergent, il est largement envisageable qu’on ait un joueur qui ait tous les atouts pour franchir ces étapes et atteindre ce niveau là.

WS : Le football américain a beaucoup évolué en France et en Europe entre vos passages en équipe de France en tant que joueur (1992-2003) et head coach ; quelles sont, selon vous, les principales différences entre ces deux époques ?

J-P.D : Tout d’abord, je pense qu’il y a un côté plus professionnel dans l’approche qu’à l’époque où je jouais. Nous envisagions plus cela comme une grande passion qu’un sport professionnel pour la plupart. On avait donc des gros décalages entre des joueurs qui visaient le très haut niveau et la plupart des autres joueurs. Actuellement, la majorité des joueurs a cette approche très professionnelle, en tout cas ceux qui jouent au plus haut niveau, sur les premières divisions. Dans la préparation ou même dans la diététique, il y a vraiment cette approche là, et je le vois en équipe nationale lorsque je discute avec eux, quand je les vois évoluer. Il y a un côté aussi plus mature à ce niveau là, et c’est vraiment pour moi la caractéristique en plus qui fait que le jeu a évolué et que les coachs français sont plus au fait sur de nombreux sujets. Ils ont plus d’outils pour développer les joueurs, les coachs peuvent mieux se préparer et donc apporter de meilleurs éléments, de meilleures techniques à leurs athlètes pour les aider à performer plus vite et aller plus loin.

WS : Vous êtes, par ailleurs, également entraîneur des Météores de Fontenay-sous-Bois. Qu’est-ce qui fait la force du championnat de France par rapport aux autres championnats européens ?

J-P.D : Il est difficile de comparer, mais ce que l’on constate c’est que nos athlètes s’exportent très bien dans les championnats étrangers car nous avons une qualité première qui est que nos joueurs sont très athlétiques et explosifs. De fait, sur les skills positions (receveurs, running backs, linebackers, …) nous avons des joueurs extraordinaires avec beaucoup de vivacité et de puissance et on arrive à être meilleurs en montrant beaucoup plus de talent. Par conséquent, ils sont recrutés dans les championnats étrangers, ce qui veut dire que notre école de formation fonctionne.

WS : Et quelles améliorations espéreriez-vous pour développer notre championnat domestique ?

J-P.D : Tout le défi réside dans le fait de rendre notre championnat plus attractif. La différence que nous avons avec des ligues comme la GLF (German Football League) ou l’ELF (European League of Football) est la portée médiatique, et on sait qu’actuellement nous sommes dans une nouvelle ère où il faut être vu sur les réseaux sociaux. Quand on évolue dans un championnat moins médiatisé, cela attire moins les joueurs qui préfèrent donc aller jouer à l’étranger. C’est là-dessus qu’on doit s’améliorer pour avoir un championnat très compétitif. Si les joueurs formés dans nos clubs arrivent à s’exporter et à y jouer en étant titulaire, cela veut dire que la formation est bonne. Ce que l’on doit travailler c’est pour réussir à les garder pour qu’ils se développent dans nos championnats, et conserver nos meilleurs athlètes rendra notre championnat plus attractif. Pour cela, il faut améliorer notre portée médiatique.

WS : De nombreux efforts sont consentis depuis plusieurs années, notamment par la FFFA, pour améliorer la visibilité du football américain en France. Pensez-vous que notre championnat pourrait, à terme, rivaliser avec d’autres ligues comme celle allemande ?

J-P.D : Je pense oui, c’est effectivement faisable. Le football américain est un sport très esthétique, c’est un sport qui plaît parce qu’il y a des actions d’éclat, de belles tenues, il y a un show… C’est vraiment quelque chose qui est fait pour le visuel. Effectivement, si on arrive à développer une visibilité cela va attirer des gens. Des jeunes avec du potentiel vont connaître ce sport et se dire qu’ils veulent évoluer là-dedans, progresser, et au fur et à mesure on va pouvoir se grandir encore plus. Je pense que c’est en effet comme cela que l’on pourra rivaliser avec les championnats étrangers.

WS : Pensez-vous également que les résultats de l’équipe de France peuvent servir de vitrine pour attirer de nouvelles personnes vers le football américain et mettre en valeur ses joueurs ?

J-P.D : L’équipe nationale, c’est forcément une vitrine. Lorsqu’on débute un sport, on veut gagner des titres et être le meilleur lorsqu’on est compétiteur, et l’équipe nationale doit regrouper les meilleurs joueurs. Par conséquent, on veut atteindre l’équipe nationale et, après, le Graal sera d’atteindre ce qui se fait de mieux au monde, à savoir la NFL. C’est un processus qui doit être évident. L’équipe nationale doit toujours être une priorité, c’est important de porter les couleurs de son pays, de le représenter dans une compétition. C’est une émotion à part.

WS : Pour conclure, ce cheminement ne vous amène-t-il pas à penser qu’il y a donc une collusion entre les intérêts des meilleurs éléments français qui s’exportent (NCAA, Canada, …), et n’ont donc pas forcément l’opportunité de représenter l’équipe nationale, et justement ceux de l’équipe de France ?

J-P.D : Effectivement, c’est la problématique. C’est pour cela que tout à l’heure que je l’ai évoqué ainsi : le cheminement, c’est de grandir en club, d’atteindre l’équipe nationale et ensuite la NFL. Des fois, on a des joueurs qui arrivent à franchir le pallier et passent par le biais de la NCAA et ça, c’est également important. En effet, s’il y a cette possibilité, c’est aussi positif car cela prouve qu’on est capable d’accompagner des joueurs qui peuvent aller s’exporter et qui ont une chance d’atteindre le plus haut niveau. Dernièrement, on a eu l’exemple d’Anthony Mahoungou qui a fait ses classes au Flash de La Courneuve avant de briller en JUCO (Junior College) et d’avoir l’opportunité de rejoindre Purdue en NCAA. On a tout de suite vu la résonance que cela a pu avoir sur les autres joueurs, car cela a créé beaucoup d’espoir. Même s’il n’a pas été jusqu’en NFL (son parcours s’est arrêté aux training camps, n.d.l.r), cela montre aux jeunes qu’il est possible de réaliser ses rêves si l’on s’en donne les moyens en travaillant techniquement, tactiquement et physiquement, mais aussi intellectuellement pour avoir un bon niveau d’anglais et de la réussite scolaire, deux conditions nécessaires pour s’exporter notamment aux États-Unis. Se priver de ces joueurs peut être problématique mais les retombées restent quand même bénéfique sur le long terme. C’est comme cela qu’il faut le voir : sur le coup, ce n’est peut-être pas bénéfique, mais c’est dans la durée que l’on obtiendra le fruit de tout cela.

WS : Les retombées sur le long terme sont donc plus importantes que cette privation ?

J-P.D : Si j’étais égoïste, je dirais que cela me nuit en tant que sélectionneur et head coach de l’équipe nationale, parce que je ne peux pas avoir mes meilleurs éléments étant donné qu’ils jouent en NCAA ou au Canada. Toutefois, si leur réussite rejaillit sur l’équipe nationale ou leur club derrière, cela ne sera que bénéfique car on obtiendra de meilleurs résultats au fur et à mesure que l’on avance dans le temps.

Rendez-vous la semaine prochaine, le 30 octobre, pour le match opposant la France à la Finlande pour la troisième place de la Ligue des Nations. Une rencontre à regarder dès 13h00 dimanche prochain sur Sport en France, qui sera peut-être l’occasion pour Léo Cremades d’honorer sa première sélection chez les seniors.

Crédit image en une : FFFA