Pendant 30 jours, la rédaction F1 va vous proposer une rétrospective sur un Grand Prix particulier. Que ce soit un GP des années 70 ou tout récent, toutes les générations vont y passer, avec un prisme différent à chaque fois. Des joies, des larmes, des tragédies, des intempéries … de nombreux événements ont marqué le monde de la F1 jusque là. La saison 1986 nous a donné une des plus belles bataille pour la couronne mondiale de F1. Et sa dernière manche caractérise bien l'apothéose de cette saison. Voici le récit du GP d'Australie 1986.
Une lutte à trois intense
C'est ce qui nous attend aux antipodes. Nigel Mansell, Nelson Piquet et Alain Prost s'affronteront dans ce match à trois. Toute la saison, ces trois champions se sont tirés la bourre, sur des autos surpuissantes, aux conditions de sécurité plus que précaires. Laffite en aura fait la terrible expérience à Brands-Hatch. On aurait même pu avoir un quatrième larron, en la personne de Senna. Si le Pauliste a été une flèche (comme il en aura l'habitude à l'avenir) en qualifications, sa Lotus à moteur Renault ne lui permet pas de répondre, surtout en fin de saison.

La guerre chez Williams le calme chez McLaren
Mansell arrive en Australie en leader confortable du championnat. Il compte 72 points (contre 65 pour Prost et 63 pour Piquet) et sait que si l'un de ses adversaires gagne dimanche, une simple 4e place ravira son bonheur et la couronne. Pour autant, le Lion de l'île de Man est tendu. Il faut dire que contrairement aux deux autres, il n'a jamais goûté au titre suprême.
A l'inverse, son équipier Piquet est lui beaucoup plus détendu. Et il n'hésite pas à taquiner plus que de mesure son voisin de garage, occultant complètement Prost. La tension est à son comble chez Williams. L'écurie de Grove a pourtant le titre constructeur en poche depuis le Mexique. Mais Franck Williams et son associé Patrick Head veulent aussi la couronne pilote, beaucoup plus importante sur le plan financier et médiatique. Et surtout la pression du motoriste Honda se fait sentir: pour la première fois Soichiro Honda a fait le déplacement pour assister au sacre d'un de ses pilotes.
De son coté, Prost est beaucoup plus calme et détendu que ses comparses. Le champion en titre se sait dans une équipe qui lui est entièrement dédiée. Rosberg n'a jamais pu se mettre à son niveau et n'a fait que de l'aider. Sans pour autant permettre à McLaren de rivaliser avec Williams.
Les qualifications: Mansell prend la pole, McLaren et Prost en difficulté

Le circuit d’Adélaïde est un tracé urbain au cœur de la métropole australienne. Ce qui veut dire qu'il a tous les défauts d'un circuit urbain: piste bosselée, virages en aveugle. Malgré tout, il se distingue en empruntant seulement sur la moitié les rues de la ville. L'autre moitié traverse le Rymill Park. C'est toutefois un tracé assez apprécié des pilotes et très rapide.
Si l'année passée, les conditions météorologiques étaient assez chaudes, l'épreuve de 1986 apparaît comme contradictoire. En effet, le temps est frais, avec une légère bise. Et même des averses, qui ont contraint l’arrêt prématuré de la session de qualifications du vendredi.
Pour le samedi, Mansell frappe un grand coup! Il prend la première marque, plus de 0.3s devant son équipier Piquet. On attendra donc un duel le lendemain entre les deux pilotes. Senna se classe 3e, mais aurait pu ravir la pole à Mansell. Seulement, dans son ultime tentative, et alors qu'il se trouvait en avance sur l'anglais, “Magic” se plante dans un mur. Quant aux McLaren, si elles furent très à l'aise le vendredi, ce samedi, sur une piste “verte” (sans gomme déposée, puisque lavée par l'eau de pluie), elles se trouvent en difficulté. Prost ne se classe que 4e, et Rosberg 7e.
La grille de départ

Parmi les autres équipes, à noter la belle performance de Arnoux et de Ligier. L'équipe française se remet que très difficilement de la grave blessure de Laffite. Mais il semble que l'auto ait un bon comportement sur le tracé urbain. Son équipier Alliot se classe 8e. Berger et sa Benetton complète la 3e ligne. Quant aux Ferrari, elles sont complètement perdues. Elles manquent cruellement d'adhérence sur tout le tracé. Alboreto se classe 9e et Johansson 12e.
La course
Le départ et les premiers tours
Après un tour de chauffe sans encombre, les pilotes s'élancent pour les 82 tours au signal des feux. Mansell s'envole correctement et entraîne Senna dans ses roues. Piquet reste 3e alors que Rosberg bondit en 4e place devant Prost. Derrière Arnoux met du temps à s'élancer et se fait harponner par la Ferrari d'Alboreto. Si l'italien s’arrête quelques mètres après le départ, le français regagne son stand pour changer sa roue crevée.

Dès le 3e virage, Senna porte une attaque sur Mansell. L'anglais ne résiste pas. Il sait que s'il reste devant ses rivaux, il est champion. Il en profite pour laisser passer Piquet et Rosberg. Dans Brabham Straight, Piquet dépasse son compatriote pour prendre la tête. A la fin du premier tour, le classement s'établit ainsi: Piquet devant Senna et Rosberg. Suivent Mansell, Prost, Berger, Streiff et Alliot.
Dès le deuxième tour, Rosberg déboîte un Senna qui a des soucis avec son moteur. Le finlandais, très en verve, se lance à la chasse au Carioca Piquet. Senna voit revenir très vite le train Mansell-Prost-Berger. D'ailleurs le Lion se débarrasse de Senna au tour suivant. Devant le rythme est effréné. Piquet et Rosberg roulent 2s plus vite que tout le monde et creusent rapidement un écart. Et le finlandais décide de passer devant au 7e tour.
McLaren met sa stratégie en place
Après 10 tours, Rosberg mène donc la course devant Piquet (+3.0s), Mansell (+10s), Prost (+11s), Senna (+17s) et Berger (+24s). D'ailleurs Prost attaque Mansell au tour suivant et le passe. Si Rosberg fonce à ce rythme effréné, ce n'est pas pour rien. Il a pour mission de forcer les pilotes Williams à attaquer et à s'épuiser. Derrière McLaren et Willams, personne ne tient le rythme.
Progressivement, Prost se rapproche petit à petit de Piquet. Les Williams semblent gérer leur consommation et leurs pneus. Ainsi au 20e tour, Rosberg emmène la meute, 14s devant Piquet et Prost et 19s devant Mansell. Mais le brésilien commet une erreur et part en tête à queue, laissant ses deux rivaux passer devant. Le plan de McLaren fonctionne. mais Mansell garde pour l'instant la couronne. La course se tasse un peu, les positions se figeant quelque peu. Prost essaye de rattraper Rosberg, Mansell garde Piquet à distance.
Le coup de poker involontaire de Prost
Cela fait un moment que les leaders sont dans les attardés. Et au 32e tour Prost, en se rapprochant de Berger, le dépasse, mais frotte son pneu avant sur l'arrière de la Benetton. Le français croit subir une crevaison. Il rentre au tour 33 et chausse de gommes neuves. L'arrêt est long (plus de 17s contre 8 ou 9s en temps normal) et la McLaren repart derrière les deux Williams.
Il y avait une inquiétude quant à la tenue des pneus, aussi bien chez Williams et chez McLaren. Mais les ingénieurs des deux camps constatent la faible usure des pneus de Prost. Ainsi la consigne est passé chez Williams: pas d’arrêt de prévu! Le combat se fera sur la piste. Piquet en profite. Il rattrape son équipier et au 42e tour le dépasse dans la ligne droite des stands. Au même moment, le V6 Renault de Senna rend l'âme.
Piquet, 2e, donne tout ce qu'il a pour rattraper Rosberg. De même, Prost, avec ses pneus neufs, revient fort sur Mansell. Les écarts au 50e tour sont les suivants: Rosberg premier devant Piquet (+31s), Mansell (+32s) et Prost (+40s). Paterse est 5e mais à un tour du leader. Dans ces conditions Mansell serait champion. Mais la question est de savoir si les pneus des leaders tiendront la distance.
La cabriole de Mansell à 300kh/h!
Car le rythme imposé par les leaders a quand même une conséquence sur les pneus, et en se rapprochant de Mansell, Prost voit bien que les gommes de l'anglais sont dans un sale état. Et Piquet bloque de plus en plus ses pneus lors des freinages. Rosberg est obligé de ralentir son rythme ce qui permet aux autres de le rattraper. Ses pneus sont morts, mais malgré tout il continue…
Jusqu'au 63e tour. Son pneu arrière droit se délamine, et le finlandais se gare sur le coté et renonce pour sa dernière course. Tout de suite, chez Williams on prévient les pilotes qui ralentissent le rythme. Mansell laisse même passer Prost. L'inquiétude est de mise, et on demande même aux deux pilotes de rentrer au tour suivant.

Mais Mansell ne ralliera jamais les stands. Au 64e tour, sur Brabham Straight, il déboite Aillot quand son pneu explose à 300 km/h! Au prix d'un effort monstrueux, il garde le contrôle de sa monture et se range dans l’échappatoire, évitant miraculeusement Alliot. Mansell est sauf, pas son rêve de titre… Panique chez Williams, Piquet alors en tête et en position d'être titré, rentre et change ses gommes. Et Prost entame le 66e tour en tant que leader.
La dernière inquiétude de Prost
Piquet ressort 20s derrière Prost. Le français garde le rythme. Il sait que s'il garde cette position, il sera champion. Pourtant à quelques tours du but, son ordinateur de bord lui affiche un message inquiétant. Il faut ralentir sinon il risque la panne sèche. Mais avec un peu moins de 20s d'avance sur Piquet, il n'a pas le loisir de ralentir. A l'inverse, Piquet lui peut augmenter son rythme.
Et le Carioca en profite. Mais Prost tient le coup et ignore même les signaux de sa voiture pour gagner la course et son second titre mondial! Malgré tout, il gare sa voiture sur le coté après avoir passé la ligne, en panne sèche. Piquet finit 2e à 4s du Français, et 3e du championnat.

Au prix d'une course à rebondissement Prost remporte donc son second titre. Et plus que le précédent, il est marqué par sa patte. Celle de l'intelligence, de la lecture de la course et de la tactique. Jamais en 1986, les Williams Honda n'auraient pu être battues sans les qualités d'Alain Prost, tant elles étaient au dessus du lot. Mais il l'a fait…

En cela, cette course reste dans les mémoires de tous. Il y a de tout! De la tension, de la joie, de la tristesse, des frayeurs… Et souvent elle est pris pour modèle quand une lutte à plusieurs se profile lors de la dernière course. Combien de fois Jean Louis Moncet l'a rappelé dans ces conditions. “Souvenez vous d’Adélaïde 86… Prost, moins bien classé, bat Mansell et Piquet sur une course magnifique”. En cela, le Grand Prix d'Australie 1986 marque bien toutes les générations.