Genèse de Mediapro, de l’étonnement à la catastrophe
Que cela soit Canal +, le diffuseur historique depuis 1984, ou beINSPORTS, en place depuis 2012, tous ont été surpris par l’arrivée en bombe d’un nouveau concurrent. Le 29 mai 2018, c’est Mediapro qui a acquis les droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2 pour la période 2020-2024. Itinéraire d’un crash à la française.
Fondé par l’homme d’affaire Jaume Roures en 1994, il n’y avait qu’en France que ce groupe audiovisuel espagnol ne s’était pas installé. C’est en 2008 que Mediapro a établi son premier fait d’arme dans le football espagnol avec la création de la chaîne Gol Televisión, qui a cessé d’émettre en 2015. Grâce à cette première implantation, Mediapro diffuse déjà certains matchs de Liga et a d’ailleurs collaboré avec BeIn Media Group pour diffuser la Ligue des Champions et la Ligue Europa en Espagne. Passé sous pavillon chinois en 2018, Mediapro, désormais sous la holding d’Orient Hontail Capital qui, pour un milliard d’euros, a racheté 53,5% d’Imagina Media Audiovisual, groupe qui possédait alors la société catalane. Le diffuseur espagnol rentre alors dans une nouvelle dimension.
Echec italien et naïveté française
C’est un véritable coup de tonnerre qui s’est abattu sur la Serie A en février 2018. Les droits TV du championnat italien sont acquis par Mediapro pour plus d’un milliard d’euros. Une somme record qui rapproche la Serie A de l’inaccessible Premier League. Un rêve éveillé pour les dirigeants italiens. Cette idylle sera cependant de courte durée car, trois mois plus tard, une demande de garantie est exigée par les représentants de la Ligue transalpine. Transaction impossible, procès au tribunal demandé par Sky Italia, fin du deal. Mediapro ne sera donc pas le diffuseur de la Serie A. Un manquement à ses obligations financières qui n’a pas inquiété les instances de la Ligue de Football Professionnel lorsque la société espagnole a frappé à sa porte quelques semaines après ses problèmes financiers et judiciaires.
C’est à bras ouverts que Didier Quillot, directeur exécutif de la Ligue de Football professionnel (LFP), a accueilli Mediapro. « Le dossier est bon et le challenge intéressant. […] Mediapro vient en France pour s’imposer durablement et ils auront les moyens nécessaires. » Le deal semble en effet alléchant : 1,153 milliard d’euros par an jusqu’en 2024, somme record pour le championnat de France qui devance la Liga et la Serie A. On se frotte les mains du côté des grandes instances du football français. Mediapro continue de s’imposer en France et annonce la co-diffusion de la Ligue des Champions avec RMC Sport pour l’année 2020-2021 sur sa chaîne Telefoot. Pour suivre la Ligue 1 et la Ligue des Champions, le tarif est le suivant : 25 euros par mois. Un prix élevé, d’autant plus que la chaîne, lancé le 21 août 2020 n’est pas accessible sur tous les opérateurs. L’objectif de son propriétaire, Jaume Roures était d’atteindre 2,5 millions d’abonnés. Pour l’instant l’échec est cuisant puisqu’au 9 octobre dernier, la chaîne ne comptait que 278 000 fidèles.
Bombe à retardement
Tout s’enchaîne pour Mediapro, et les bonnes nouvelles se font rares. Le premier versement de 178 millions d’euros attendu par la LFP le 5 octobre 2020 n’arrive pas et le groupe sino-espagnol souhaite une renégociation des droits TV. Demande immédiatement refusée par les grandes instances du football français. « D'un côté, vous avez quelqu'un qui menace de ne pas payer, de l'autre une Ligue qui a basé tout son budget sur ces nouveaux droits, donc forcément, la négociation va être un peu houleuse », conclut Luc Arrondel, économiste du football interrogé par l'AFP.
Tout ce marasme aurait pu être évité mais la LFP n’a pas jugé bon de souscrire à une assurance qui aurait permis de couvrir les impayés de Mediapro, comme l’avaient fait les représentants de la Serie A. Cette garantie aurait coûté 3,4 millions d’euros à la Ligue et aurait pu rembourser 340 millions d’euros. La LFP n’a pas fait ce choix et se retrouve embarquée dans un bras de fer qui risque de durer.
Les clubs français sont les principaux perdants de ce deal raté puisque leurs revenus dépendent en grande partie de ceux générés par les droits TV. Dans l’attente d’un paiement, la LFP devrait se tourner vers une banque étrangère qui serait prête à offrir un prêt à hauteur de 120 millions d’euros à répartir entre les clubs français selon l’Équipe. Une solution à court terme qui ne durerait que jusqu’à la fin de l’année 2020. Le conflit entre Mediapro et la LFP est donc loin d’être terminé et la pérennité du foot français elle, est loin d’être assurée.
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