Titré avec les Young Boys de Berne pour la deuxième fois en un an et demi, le défenseur Jordan Lefort nous a livrés une longue interview. Propos recueillis par Giacomo Notari pour HoppSuisse.

 

Rares sont les foolleurs dans la force de l’âge décidant de quitter la Ligue 1 pour un championnat moins huppé. À 26 ans, le défenseur né en région parisienne est de ceux ayant tenté ce pari. Quinze mois, trois trophées et une campagne en Ligue Europa plus tard, les faits parlent d’eux-mêmes : son départ d’Amiens chez le champion suisse a été un tournant de sa carrière. Élogieux aux égards d’un football qu’il continue de découvrir, Jordan Lefort revient sur sa saison riche en succès, mais aussi sur son départ de ses terres natales, son quotidien en Suisse ainsi que sur son rôle de footballeur qui a évolué du côté de la capitale.

 

Commençons par l’actualité. Que ressens-tu après ce deuxième titre avec YB ?

« C’est la concrétisation de toute une saison et on l’a bien fêté. C’est toujours excellent de gagner un titre, même s’il y avait plus d’émotion l’année dernière étant donné que cette fois on savait depuis un moment qu’on n’était plus rattrapables ». 

 

Pas de doublé Coupe-championnat cette année, en revanche.

« Il y a un petit goût d’inachevé car on se disait que c’était la seule chose qui nous restait. Cette élimination n’enlève cependant rien à la saison qu’on a fait ».

 

Et en Europe, qu’est-ce qu’il vous a manqué pour aller au-delà des huitièmes ?

« On est tombés contre l’Ajax qui est une très grosse écurie européenne. Ça nous a montré qu’il y a encore un monde entre ces équipes et nous. Le travail physique chez ces équipes est encore plus important, ça se ressent dans les courses et les sprints des joueurs notamment. Ce qui est sûr, c’est qu’atteindre les huitièmes était déjà un accomplissement historique pour le club. Sans oublier que l’on a éliminé le Bayer Leverkusen, l’un des favoris, au tour précédent. Cet exploit reste l’un des meilleurs souvenirs de la saison ».

 

Revenons sur ton arrivée en Suisse à l’hiver dernier. La vie ici correspond à ce dont tu avais entendu parler ?

« On m’a toujours dit du bien de la Suisse. Par exemple, on dit que les gens sont respectueux, que les rues sont propres…mais je n’avais jamais visité le pays avant. Depuis que je suis arrivé j’ai pu faire un peu le tour et j’ai vu des paysages incroyables. Le civisme des gens m’impressionne également. Par exemple, tu ne vois pas de déchets par terre, tu peux laisser ton vélo dans la rue sans l’attacher, le facteur dépose les colis en bas de l’immeuble et tout le monde le laisse, rien ne se passe quand tu laisses la fenêtre de ta voiture ouverte… On n’a pas l’habitude de ça en France et il faut dire que ça fait plaisir ».

 

Le dépaysement est d’autant plus grand vu que la langue est le suisse-allemand à Berne

« Oui, même si dans l’équipe beaucoup parlent français, je prends des cours depuis mon arrivée. J’ai demandé à les poursuivre durant cette période même en visio-conférence, et après un an et demi j’arrive à parler un peu allemand ».

 

Et quel a été ton ressenti du niveau footballistique suisse par rapport à ce qui se dit en France ?

« En France, on ne parle pas du tout du championnat suisse. Personnellement, je ne connaissais que les Young Boys, car ils avaient fait la Ligue des champions il y a quelques saisons, et Bâle, qui était un club qu’on voyait beaucoup en Europe à l’époque. J’ai été très surpris dès le départ. C’est un championnat où toutes les équipes savent jouer, essaient de repartir de derrière, mettent de l’intensité, jouent bien en transition…c’est très plaisant ».

 

Justement, ici en Suisse on a l’impression que les YB font tout juste ces dernières années. Quel est ton ressenti toi qui y assiste de l’intérieur ?

« Je suis très étonné. La gestion du club est incroyable et la confiance réciproque entre les membres et les joueurs l’est également. Je dis ça en ayant connu trois clubs en France auparavant, et c’est aussi ce que pensent tous les gens en ville ici. Tout est méticuleusement soigné et il y a beaucoup de choses que je n’avais jamais vues en France. Par exemple, ici toute l’équipe est au courant d’un transfert avant que ça ne sorte dans la presse. On est informé de quasiment tout avant que ce soit officiel. Cela n’existe pas en France, il n’y a pas une telle transparence entre le club et les joueurs. Là-bas, si tu n’es pas proche du joueur concerné, tu apprends les nouvelles dans les médias comme tout le monde ».

 

Ce n’est pas comparable avec un club de Ligue 1, donc.

« Oui et non, car si on parle sportivement, YB terminerait entre la sixième et la dixième place en Ligue 1. On peut s’en rendre compte lorsque l’on voit que des clubs comme Lille et Reims ont fait la Ligue Europa en sortant avant nous de la compétition ».

 

Au niveau personnel, comment as-tu vécu la transition entre Amiens et YB ?

« À Amiens, j’ai passé une dizaine d’années au club, ce qui est rare pour un footballeur. J’ai tout connu là-bas, du centre de formation à la première équipe, en vivant même des montées. J’avais besoin de voir autre chose du point de vue personnel et même collectif, une autre culture du que celle française, où il y a un profil-type de défenseur central. Le plus important là-bas, c’est d’être grand et costaud à ce poste.  Sur ce point-là, la Suisse correspond davantage à mon profil : un peu plus technique qu’un central classique, avec une bonne relance. Ici, j’ai aussi l’occasion de jouer sur le côté au cœur d’un jeu très porté de l’avant. C’est très plaisant et c’est aussi pour ça que j’avais besoin de quitter Amiens et la France ».

 

Les responsabilités que tu as ici t’ont aidé à progresser ?

« J’avais un peu cette image de l’enfant du club à Amiens, du petit jeune. Même à 25-26 ans. En arrivant ici ça s’est inversé, puisque je faisais partie des plus anciens. Ces responsabilités en plus me donnent envie de me montrer sur le terrain et d’être un exemple pour tout le monde. C’est très plaisant et ça permet de progresser ».

 

Aujourd’hui, dans les années qui sont censées être celles de l’apogée de la carrière d’un footballeur, tu es satisfait de là où tu en es individuellement et collectivement ?

« Je suis pleinement satisfait. Si on regarde d’où je pars, je n’ai signé pro qu’à 23 ans, j’ai débuté tard en Ligue 2 et en Ligue 1… Si on m’avait dit il y a deux ans que j’allais jouer un huitième de Ligue Europa contre l’Ajax, j’aurais rigolé ».

 

Avec du recul, tu es donc heureux de ton choix d’être venu en Suisse ?

« Ça a été un super choix et je ne remercierai jamais assez ceux qui ont rendu cela possible. J’ai pu gagner trois titres en un an et demi, jouer en Europe…des choses que je n’aurais certainement pas connues à Amiens. D’autant plus que, quand je vois qu’aujourd’hui le club joue le milieu de tableau en Ligue 2, je me dis que je ne suis pas trop mal ici, que je suis vraiment bien même ».

 

Tu conseillerais donc à un ami qui doute en France de tenter un transfert en Suisse ?

« Carrément. Et ça va même au-delà du football, le style de vie est incroyable. J’ai eu l’occasion de voir des stades pleins pendant quelques semaines à mon arrivée et ce sont des ambiances que tu ne vis pas chaque week-end en Ligue 1. Je trouve dommage que ce soit autant méconnu et jamais retransmis en France. En temps normal, je pense qu’un YB-Bâle par exemple serait plus attrayant que de nombreux matchs de Ligue 1 ».

 

Épanoui, plein de succès et à son meilleur niveau, Jordan Lefort semble vraiment avoir trouvé chaussure à son pied à Berne. Son contrat est valable jusqu’en juin 2023 et le défenseur français n’a certainement pas fini de vivre des belles aventures…à commencer par des tours préliminaires de Ligue des champions qui se dérouleront cet été. Son témoignage serait en tout cas à montrer à tous les footballeurs sceptiques à l’idée de rallier un championnat méconnu à l’étranger. Pour Jordan Lefort, ça a marché.

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