Après onze mois fournis en évènements sportifs, notamment à cause du report de nombreuses compétitions qui devaient avoir lieu l’an passé, le mois de décembre conclut un cru 2021 encore riche en émotions. De la septième bague de Tom Brady au titre de champion du monde de Fabio Quartararo en Moto GP, en passant par les Jeux olympiques et paralympiques, We Sport revient sur 30 moments marquants qui ont rythmé l’année civile. Aujourd’hui, ouverture de notre série avec un des actes forts des J.O, la prise de pouvoir de l’Italie et de Lamont Marcell Jacobs sur le sprint masculin.
L’ovni Lamont Marcell Jacobs
Si les Jeux olympiques sont ponctués de moments inattendus et presque magiques, la victoire de Lamont Marcell Jacobs sur le 100 m masculin rentre sans trop de discussions dans cette catégorie. À l’orée de la première olympiade post-Usain Bolt, titré sur la ligne droite à Pékin (2008), Londres (2012) puis Rio (2016), aucun favori ne semblait se dégager*. Aucun, et encore moins celui qui, pourtant, succédera à « La Foudre ».
* Beaucoup attendaient l’Américain Christian Coleman comme le successeur d’Usain Bolt, mais, suspendu suite à plusieurs contrôles anti-drogues manqués, il n’a pas eu l’opportunité de participer à ces Jeux olympiques.
Du saut en longueur à l’explosion
Né à El Paso au Texas d’un père américain et d’une mère italienne, Marcell Jacobs grandit seul avec sa mère dans la province de Brescia. Rapidement orienté vers l’athlétisme, il pratique le sprint mais performe rapidement dans une autre discipline : le saut en longueur. Ici, l’Italien s’affirmera comme un des meilleurs de son pays, avec des marques au-delà des huit mètres dont une non-homologuée à 8,48 m en 2016 à Bressanone. Néanmoins, Jacobs se blesse trop souvent et s’oriente peu à peu vers le sprint, où il mettra un certain temps avant d’exploser.
Si le titre de Lamont Marcell Jacobs a surpris plus d’un observateur, c’est, entre-autres, car son explosion fut fulgurante. Avant 2021, l’Italien reste bloqué au-dessus de la barre symbolique des dix secondes (10.03 à Padova en 2019) et n’est qu’un sprinter que l’on peut qualifier de quelconque au milieu de la foule de coureurs prêts à marcher dans les pas d’Usain Bolt. Toutefois, cette année olympique décalée va le voir enchaîner les bonnes performances et les chronos satisfaisants. Bon partant, il ponctue sa saison en salle par un tire de champion d’Europe indoor sur 60 m à Toruń en Pologne, s’offrant au passage le record d’Italie et la meilleure performance mondiale de l’année (6.47). Quelques mois plus tard, en mai à Savona en Italie, il passe enfin sous les dix secondes et bat le record national de Flippo Tortu (9.95), devenant seulement le deuxième Transalpin à réussir cette prouesse. Deux mois plus tard, rebelote à Monaco (9.99), confirmant sa bonne forme avant d’aller à Tokyo. Une forme qui s’avérera être la forme de sa vie dans la capitale nippone.
Des olympiades à vitesse grand V
Avant de démarrer ses premiers Jeux olympiques, Lamont Marcell Jacobs n’est que très peu considéré pour la course à la médaille. Si le plateau est ouvert, l’Italien ne possède que le vingt-cinquième chrono de la saison, et le voir ne serait-ce que rentrer en finale serait déjà une réussite pour un pays qui n’a jamais envoyé personne à ce stade de la compétition dans l’épreuve reine. Pourtant, Marcell Jacobs va très vite montrer qu’il est au Japon pour frapper fort. Dès les séries, il bat son record personnel d’un centième (9.94). Impressionnant ? Pas autant que sa performance en demi-finales. Dans une course ultra-rapide, remportée par le Chinois Su Bingtian devant l’Américain Ronnie Baker, Jacobs améliore encore son record d’un dixième (9.84), pulvérisant son record personnel et battant au passage le record d’Europe qui appartenait au Français Jimmy Vicaut (9.86). Qualifié en finale avec le troisième temps, il lui reste pourtant tout à prouver.
Faire partie des huit meilleurs sprinters de la planète est une chose, mais l’histoire ne retient souvent que les vainqueurs dans des compétitions comme les Jeux olympiques. Et cela, tout les participants de cette finale du 100 m masculin le savent avant de prendre le départ au sein d’un plateau ultra-ouvert. Déjà très indécise, l’issue de la course le fut encore plus après l’élimination dès les demi-finales de l’Américain Trayvon Bromell, meilleur performeur mondial de l’année et désigné favori avant le début de la compétition. Ils sont huit à pouvoir se disputer le St Graal : Akani Simbine, Lamont Marcell Jacobs, Zharnell Hugues, Fred Kerley, Su Bingtian, Ronnie Baker, Enoch Adegoke et Andre De Grasse – un nombre qui se réduire à sept après le faux-départ de Hugues. Sept hommes qui vont fendre l’air au cours de l’une des lignes droites les plus homogènes de l’histoire des JO.
À peine le départ donné par le starter, Lamont Marcell Jacobs jaillit des starting blocks et se place aux avants-postes, malgré l’un des plus mauvais temps de réaction de tous les partants (0.161 contre 0.128 pour Fred Kerley et 0.141 pour Akani Simbine, les deux hommes qui l’entourent sur le tartan). À la lutte avec le Sud-Africain puis l’Américain à la mi-course, le Transalpin s’échappe puis résiste à Kerley – deuxième – dans les derniers mètres pour franchir la ligne d’arrivée en première position. Dans une finale supersonique, les six hommes ayant franchi la ligne* étant passés sous les dix secondes, l’Italien améliore encore un record d’Europe dont il avait pris possession seulement quelques heures plus tôt, le portant à 9.80. Ce temps ? Le plus rapide jamais réalisé par un athlète n’étant ni jamaïcain, ni américain. Sa médaille d’or ? La première sur 100 m de l’Italie, la première en sprint de son pays depuis celle de Pietro Mennea sur 200 m en 1980 et plus globalement la première sur 100 m d’un européen depuis le Britannique Linford Christie en 1992. Une victoire pour l’histoire, qui n’a fait qu’ouvrir la voie pour ses compères du relai quelques jours plus tard.
* Blessé pendant la course, le Nigérian Enoch Adegoke n’a pas été jusqu’au bout.
Un relai doré
De grands outsiders
Fort de compter le nouveau champion olympique dans ses rangs, le relai italien s’avançait à Tokyo avec la volonté de créer une nouvelle surprise, quatre jours après le sacre de Lamont Marcell Jacobs. Là-aussi, les Transalpins étaient loin d’être parmi les favoris avant de rentrer dans la compétition. En cause, notamment, des membres loin d’être des références dans le sprint mondial, surtout en comparaison des surpuissances que sont les États-Unis, la Jamaïque ou encore la Grande Bretagne.
Pourtant, ce relai est composé de façon intelligente, avec des pièces intéressantes. Pour lancer l’Italie, le jeune Lorenzo Patta, né en 2001. D’abord footballeur chez les jeunes, il débute l’athlétisme en 2016 et n’explose véritablement que cette saison. Parmi les jeunes promesses italiennes, il s’affirme en mai à Savona, meeting où le futur champion olympique s’empara une première fois du record national, en signant 10.13, battant son record personnel de deux centièmes. Dans la ligne droite opposée, l’endroit avec le plus de distance à parcourir, Lamont Marcell Jacobs. Crédité de 9.80 seulement quelques jours plus tôt, il est dans la forme de sa vie. Pour gérer le virage, Eseosa Fostine Desalu. Spécialiste du 200 m, où il est le deuxième Italien le plus rapide de l’histoire derrière l’icône Pietro Mennea, il est l’homme le moins rapide de ce relai (10.29 en 2020) mais sûrement le plus à même de négocier cette partie de la course. Enfin, dans l’ultime ligne droite, Filippo Tortù. Champion d’Europe des moins de 20 ans en 2017 et premier Italien sous les dix secondes (9.99 en 2018), il est la grande promesse du pays, et celui qui aura la pression de finir la course.
Record, Tortu et Ferraris
Placés dans la deuxième série, aux côtés notamment de la Chine, de la Turquie, du Canada et des États-Unis, les Italiens ont une carte à jouer. Après avoir vu la Jamaïque, la Grande-Bretagne et le Japon assurer leur place en finale, ils doivent remplir l’un des deux critères suivants pour les rejoindre : finir parmi les trois premiers ou faire mieux que les 38.18 de la France, première qualifiée au temps temporaire. Au sein d’une série plus rapide, qui verra les États-Unis commettre trop d’erreurs et se faire éliminer malgré un relai cinq étoiles, l’Italie assurera la troisième place, battant au passage son record national (37.95). Pourtant, leur course semble encore perfectible, notamment sur le départ (deuxième plus mauvais temps de réaction des séries), ou sur la fin de course où Filippo Tortu s’est fait avaler par Andre De Grasse dans la dernière ligne droite. Des détails, certes, mais des détails qui changeront tout pour les Transalpins le lendemain.
6 août 2021, stade olympique de Tokyo, Lorenzo Patta prend place au couloir 8 pour l’Italie. Seulement précédé par le Japon, plus mauvais temps des qualifiés, le quatuor Patta/Jacobs/Desaolu/Tortu devra résister à tous ses principaux adversaires pour s’offrir a minima une place sur le podium. Comme en séries, le départ est marqué par un temps de réaction assez moyen (6e sur 8), mais Patta transmet le témoin à Marcell Jacobs sans enregistrer trop de retard sur ses concurrents. Dans la ligne droite opposée, le champion olympique avale la piste est dégage une impression de puissance phénoménale pour placer l’Italie aux avants-postes, à la lutte avec la Grande-Bretagne. S’il négocie bien le virage, Desaolu manque quelque peu sa transition avec Tortu et les Italiens se retrouvent à la lutte avec la Jamaïque et le Canada pour une place sur le podium, tandis que les Britanniques ont créé un léger écart à l’avant. Cependant, l’issue de la course est loin d’être connue et Filippo Tortu va réaliser un finish incroyable. En pleine accélération, il distance ceux qui étaient sur la ligne et réduit peu à peu l’écart avec l’Anglais Nethaneel Mitchell-Blake, jusqu’à le dépasser juste avant la ligne. Pour un centième, l’Italie casse en tête (37.50, record national) devant la Grande-Bretagne (37.51), le Canada complétant le podium (37.70).
Après la surprise Jacobs sur le 100 m, l’Italie double donc la mise en allant chercher un relai où presque personne ne l’attendait en amont des Jeux olympiques. Cette médaille marque la fin d’une longue période de disette pour le relai italien. Absents des podiums internationaux depuis 1995 et une troisième place aux Mondiaux de Göteborg, les sprinters de la Botte l’étaient depuis soixante-treize ans aux J.O, n’étant pas monté sur la boite depuis une troisième place en 1948. Quatrième médaille olympique du relai et première en or, ce titre vient couronner des olympiades plus que réussies pour le pays en athlétisme, et plus particulièrement en sprint où l’Italie est devenue en seulement quelques jours une place forte du sprint mondial.
Inattendus, Lamont Marcell Jacobs et le relai transalpin ont permis à l’Italie de devenir la nation reine du sprint en 2021. Une situation sur laquelle très peu auraient parié en amont des Jeux olympiques, et qui place beaucoup de promesse pour le futur. Rendez-vous demain pour la suite de notre série, avec un retour sur l’un des évènements de l’année en tennis, le sacre de Daniil Medvedev à l’US Open.
Crédit image en une : Olympics