L’essence de la gloire (n°1) : Chicago with the lead
Le sport est parsemé de récits glorieux, de moments de grâce furtifs qui, par l’émotion qu’ils nous procurent, se transforment en souvenirs que l’on ne veut pas oublier. En un clin d’œil, certains de ses acteurs changent le cours de l’histoire, atteignant par la même occasion une certaine forme de postérité. Le temps a beau vouloir continuer sa course, quelques clichés ont permis de le ralentir jusqu’à le suspendre, animant ainsi des images qui résonnent encore aujourd’hui dans les mémoires. En essayant d’y insuffler du sens, We Sport et Le Fuoriclasse profitent de l’été pour vous proposer une série d’articles dans le but de vous emmener derrière dix clichés entrés dans la légende. Aujourd’hui, focus sur le dernier fait d’armes de Michael Jordan avec ses Chicago Bulls lors des Finales NBA 1998 : The Last Shot.
La conclusion d'une carrière exceptionnelle
Michael Jordan est l’un des si ce n’est le meilleur joueur de l’histoire du basketball. Un athlète hors des normes de l’époque, doué de qualités techniques impressionnantes. Prototype du basketteur parfait, il a régné sans partage sur la NBA pendant de nombreuses années en remportant six bagues de champion avec Chicago. L’ultime merveille de M.J. est avant tout l'épilogue de son retour en grâce. Retiré des parquets en 1993 juste après avoir réalisé un three peat avec les Bulls (le fait de remporter trois titres consécutifs), His Airness effectua finalement son retour en NBA l’année suivante dans un but bien précis : garnir encore davantage son armoire à trophées. Si la saison 1994/1995 vit Chicago sortir au premier tour des playoffs face au Magic d’Orlando, la suite appartient à l’histoire. Au terme de deux saisons mémorables ponctuées par deux titres en 1996 puis 1997, Jordan et ses coéquipiers étaient lancés dans la complexe entreprise de réaliser un nouveau triplé.
1997/1998 avait donc tout pour devenir une saison mythique. Seule ombre au tableau, certaines rumeurs faisaient état d’une potentielle (nouvelle) retraite de celui qui allait être MVP cette année-là. 1997/1998, ce fut aussi l’histoire d’un duel acharné entre les Chicago Bulls et le Utah Jazz, les deux finalistes de l’édition précédente. Après des saisons abouties où Chicago et Utah dominaient la Ligue, il était écrit que ces deux franchises se retrouveraient en Finales pour la deuxième fois consécutive. À domicile, Utah remporta la première manche, mais Chicago répondit en empochant les trois suivantes. Au United Center*, Michael Jordan avait alors l’occasion d’offrir le titre aux siens, mais manqua malencontreusement sa chance au buzzer. Les deux équipes furent donc forcées de disputer un Game 6 décisif.
De retour au Delta Center** de Salt Lake City, les Bulls se devaient de l’emporter pour éviter de jouer un Game 7 à l’extérieur qui semblait piégeux. Péniblement soutenu par des coéquipiers exténués et un Scottie Pippen gêné depuis quelques matchs par une blessure au dos, Michael Jordan dut à nouveau prendre ses responsabilités, marquant 41 pts à 13/33 au tir. À une minute du terme, Sa Majesté était en train de jeter ses ultimes forces dans la bataille. Malgré tous ses efforts, les Bulls ne réussissaient pas à prendre le contrôle du match (83-86) jusqu’à ce qu’il décide de changer le cours de l’histoire. Après avoir inscrit un layup pour recoller -1 à quarante secondes de la fin du match, l’arrière des Bulls lut parfaitement une passe de John Stockton en direction de Karl Malone (les deux stars du Jazz à l’époque) et vola le ballon au Mailman. Il ne restait plus que vingt secondes à jouer et Jordan avait une nouvelle fois l’occasion d’offrir un titre à ses Bulls.
* United Center : salle des Chicago Bulls
** Delta Center : salle du Utah Jazz
Un tir pour l'éternité
Il y a 23 ans jour pour jour, le 14 juin 1998, His Airness nous a gratifié de l’une des actions les plus iconiques de l’histoire de la balle orange. Ce joueur légendaire au palmarès gargantuesque s'apprêtait encore une fois à éblouir le monde du basket par un geste de grande classe. Après avoir piqué le ballon dans les mains de Karl Malone, M.J. remonte le terrain pour tuer le match. Face à lui se tient Byron Russell, dernier rempart timide de la défense adverse. Les secondes commencent à s'égrainer tandis que Jordan fixe sa proie. Chicago est alors mené d’un point, 86 à 85, il doit marquer et tout le monde le sait. Habitué de ces moments sous haute tension, il se met à l’aise et jauge le pauvre homme qui se tient face à lui. Tel un félin, il avance doucement, prenant le temps d’emmener son adversaire vers le centre du terrain, puis soudainement il stoppe son dribble, recule pour se défaire de son défenseur qui glisse au sol et arme son tir. C’est à ce moment précis que, suspendu dans les airs, la gravité sembla ne plus avoir de prise sur lui. Michael Jordan allait le faire, encore. Il allait dépasser sa simple condition d'athlète pour mettre un terme à l’une des plus belles histoires du sport.
Là-haut, perché au-dessus des autres joueurs qui le regardent envieux, le numéro 23 semble flotter. Le chronomètre affiche 6,6 secondes au terme de ce match haletant et ce shoot allait décider du sort de beaucoup. S’il rentre ce tir, Jordan remporte les finales NBA et achève un deuxième three-peat commencé deux ans plus tôt. C’est l’occasion unique pour lui de mettre un terme à sa carrière chez les Chicago Bulls de la plus belle des manières en marquant le cœur des fans à jamais. M.J. suspendu dans les airs voit le ballon faire trembler les filets du panier adverse, jetant de fait un froid glacial dans toute la salle. Les supporters, les joueurs et tous ceux qui espéraient pour la franchise de Salt Lake City une fin plus heureuse ne peuvent qu’abdiquer. Il l’a fait, encore, au bout d’un effort considérable et au crépuscule d’une carrière phénoménale ; Air Jordan est encore le plus fort. Héros de toute une ville, il peut célébrer ce moment qui restera le point d’orgue de sa carrière, l’essence de sa gloire. Il a ému le monde entier, provoquant des émotions que peu de joueurs arrivent à transmettre. Même Phil Jackson, son coach, ne put contenir sa joie et la laissa exploser sur le terrain.
Une action rentrée dans l'histoire
Phil Jackson est un entraîneur de légende qui a accompagné Michael Jordan jusqu’au pinacle de sa carrière. Lorsqu’il explique dans son livre Eleven Rings à quel point cet instant précis l’a ému, on ressent aisément avec quelle force ce tir a marqué la grande histoire du basketball. « Tout le monde considère ce tir comme son chef-d’œuvre ultime. La fin parfaite s’il pouvait y en avoir une ». Une fin romanesque, si absurdement belle qu’elle semble avoir été écrite à l’avance. Michael Jordan avait déjà inscrit son nom dans la légende de la NBA au cours de sa carrière, mais cette action, ce moment de gloire intense, l’a fait basculer dans une toute autre dimension. Légende parmi les légendes, il a réussi à faire de ce moment suspendu une de ces images qui s’imprime dans notre rétine sans jamais vouloir la quitter.
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Article en collaboration avec Louis Rousseau
Crédit image en une : Fernande Medina/Getty Images