« C’est flou…C’est vraiment très bizarre car je n’ai pas vraiment compris ce qui se passait». S’esclaffait le regretté Kobe Bryant il y a quelques années en marge de la célébration des dix ans de son record en carrière, les 81 points face aux Raptors. Oui, le 22 janvier 2006, il y a 16 ans exactement, Kobe inscrivit pas moins de 81 points face aux Raptors devenant ainsi le deuxième meilleur marqueur de l’histoire de la NBA derrière les 100 points du légendaire Wilt Chamberlain. Retour sur un exploit grandiloquent et intemporel…

Le texte dans son contexte,

Nous sommes dans un contexte tout sauf faste pour les Lakers, une période pénombreuse où Los Angeles enchaîne les prestations en dents de scie. On est loin de ces heures de gloire où Kobe et les siens marchaient sur leurs adversaires. La preuve, les locaux (21victoires – 19défaites) sont à la peine mais virtuellement qualifiés pour les playoffs et affrontent ce soir-là les Raptors (14victoires-26défaites) au Staples Center pour un match de saison régulière comme les autres. Un match comme les autres, pas totalement et l’issue de la rencontre l’attestera à suffisance. Cette nuit-là, il va se passer quelque chose d’inoubliable et de foncièrement inimaginable. Ce match va indubitablement entrer dans la légende mais ça personne ne le sait encore.

Les strates de l’établissement d’un record intemporel,

Jusqu’à la fin de la première mi-temps, le match reste classique, routinier. On part sur des standards courants. Rien de bien nouveau. Les Raptors sont devant au niveau des intentions, de l’engagement et de l’intensité. Mieux, ils mènent au score. Du côté des Lakers Kobe Bryant n’a inscrit « que » 26 points. Après l’anniversaire de sa fille Natalia, il a passé la journée entre les mains du kiné pour soigner son genou. Il n’est pas à 100% de ses moyens, mais il plante 26 points en une mi-temps. Ce n’est déjà pas rien. Pour rappel, cette année-là, c’est-à-dire en 2006, Kobe Bryant n’était point dans sa période verte. Moins dominateur, moins souverain, on est loin de ses heures de sémillance . Le troisième quart-temps arrive. Chris Bosh et ses partenaires vont même compter jusqu’à 18 points d’avance (71-53) après deux lancers de Morris Peterson. On se dit alors que les Raptors ont fait le plus dur et qu’ils ne peuvent plus être rattrapés. Et puis, l’incroyable se produit. Kobe Bryant, meilleur marqueur de la ligue, décide alors d’enfiler sa toge de super héros et de prendre le match à son compte. 3-pts, and1, dunk, tout y passe… Le Black Mamba plante 27 points dans le troisième quart temps. Un de plus qu’en première mi-temps, et le voilà déjà à 53 points.
Un mois plus tôt, il avait déjà claqué 62 points face au Mavericks en trois quarts temps ! Ce qui était déjà un récital, une performance hors du commun mais ça c’était l’entrée avant le plat de résistance. Toutefois, il est à rappeler que ce jour-là, Kobe ne joue pas le dernier quart-temps. Cette fois-ci, ce sera différent.

L’incroyable se produisit finalement…,

Bryant franchit la barre des 60 points sur un lay-up à 6min26 de la fin du match. Les Lakers sont désormais sûrs de leur fait. Ils ont le gain de la partie entre les mains. Ils ne peuvent plus le laisser leur filer entre les doigts. Le public quant à lui reste subjugué et stupéfait devant la monumentale prouesse de sa star. La barre des 70 points est atteinte sur un 3-pts. Kobe dépasse alors les 69 points de Michael Jordan. À 4min26 du terme, il dépasse Elgin Baylor dans la « scoring list » des Lakers avec 72 unités contre 71 pour l’ancien ailier. L’odyssée continue… Aussi enthousiaste et complètement à fond dans la dynamique à l’image d’ailleurs des fans, le speaker ne peut s’empêcher d’énoncer au public les records qui tombent un à un. Sur le banc, Phil Jackson envisage de sortir son homme fort.
« Je ne suivais pas ses stats et je me suis tourné vers mon assistant en lui disant que je ferais mieux de le sortir. Il m’a répondu : « Je ne pense pas que tu puisses le faire. Il en est à 77 points. » Je l’ai donc laissé jusqu’à ce qu’il atteigne les 80 points. » confiera le coach de LA de l’époque.

Auteur de 32 des 37 derniers points de son équipe, Kobe Bryant termine cette indicible performance d’opéra sur le parquet avec une série de lancers pour atteindre 81 points ! C’est la deuxième plus grosse performance individuelle de l’histoire derrière les fameux 100 points de Wilt Chamberlain marqués le 2 mars 1962. Tel un empereur ou plutôt un gladiateur, Kobe Bryant sort à 4 secondes de la fin, doigt levé au ciel, et sous les ovations du public en délire scandant en chœur « MVP, MVP, MVP ».
La preuve que « tout est possible ».

Le chapelet des déclarations, le lit des émotions,

Après la rencontre, remportée 122-104 par les Lakers, Kobe Bryant prendra même le micro pour dire un mot aux 18 997 spectateurs venus au Staples Center les pousser vers la victoire et qui ont dû se sentir comme des privilégiés pour avoir vécu ce moment singulier.
« C’est difficile de parler. Même en rêve, je n’avais jamais imaginé cela. C’est juste une de ces soirées où tout peut arriver… » Une déclaration à chaud, lapidaire, rachitique à la limite au vu de l’exploit du jour.
Même si sur le coup, le principal intéressé ne mesure pas lui-même l’immensité de sa performance, ses coéquipiers prendront soin de le lui rappeler. Sachant que c’est un match de légende, ils lui demanderont de signer la feuille de stats pour garder chacun un souvenir…
Dix ans plus tard par contre, le « Black Mamba » sera bien plus loquace « Cela peut paraître dingue à dire, et je pense que la plupart des gens trouveront ça dingue, mais inscrire 81 points ne m’a pas surpris » explique-t-il sur ESPN. « J’espère que les gens ne prendront pas ça pour de l’arrogance, mais vous devez comprendre qu’à mon âge, 27 ans, au top de ma forme physique, ce n’était pas surprenant. »
Pour Kobe , sa performance était tout simplement la preuve que « rien n’est impossible ». « Quand on est gamin, on a des rêves, et même s’ils sont fous et pleins d’imagination, on se donne à fond. Car on croit que des nuits comme ça peuvent arriver. C’est une forme de témoignage de la puissance de l’imagination. Il y a beaucoup de joueurs qui n’imaginaient qu’on puisse marquer 80 points. 50 points, on y pense. Et si on est vraiment chaud, 60. Mais je n’ai jamais eu de limites. Je pensais que 90 points, c’était possible. 100 points aussi. Toujours. Ce match, c’est un témoignage de ce qu’on peut faire lorsqu’on ne se fixe pas de limites. »

De superstar à légende vivante,

L’on ne le dira jamais assez. Inéluctablement, ce genre de rencontre est typiquement le genre qui vous fait changer de dimension, entrer dans une sphère supérieure. Kobe était déjà un phénomène indimmensionnable. Il deviendra une véritable légende vivante. En effet ce « match sans limites » nous laisse une ligne de stats uniques : 81 points à 28/46 aux shoots (à 61%), 7/13 à 3-points et 18/20 aux lancers, 6 rebonds et 3 interceptions. Kobe Bryant a souvent été injouable pour ses adversaires. Mais ce soir-là, il était tout simplement un cran encore au-dessus. Il était insaisissable, injouable, indéboulonnable. Le tout pourtant face à une défense concentrée et regroupée et qui avait fait de lui la cible à abattre.
« J’affrontais des défenses resserrées », rappelle-t-il alors qu’il avait Kwame Brown et Smush Parker comme coéquipiers. « Pour moi, faire des prises à deux en défense sur un joueur, c’est comme agiter un drapeau blanc. »
16 ans après, et quasiment deux ans après son décès, ses 81 points demeurent un moment historique, gravé dans le marbre des plaques de la NBA et dans l’esprit collectif. L’œuvre d’un soliste hors-pair, d’un joueur unique cinq fois titré et devenu le troisième meilleur marqueur de l’histoire sous la coupe d’un Phil Jackson qui pensait avoir tout vu, tout vécu avec l’insubmersible Michael Jordan…
« Ce n’est pas exactement comme ça qu’on souhaite que son équipe gagne un match », concluait le Maître Zen. « Mais lorsqu’il faut gagner, c’est génial d’avoir une arme capable de le faire. J’avais déjà vu des matches d’exception mais je n’avais jamais vu quelque chose comme ça. »

Kobe Bryant à jamais dans nos cœurs. Adieu l’artiste, Adieu Black Mamba. Un athlète d’exception et intemporel qui quittera malheureusement et précocement cette terre le 26 janvier 2020 des suites d’un accident d’hélicoptère.