Sa parole est rare dans le football actuel, son travail salué, ses enquêtes craintes. Depuis 2015 Romain Molina se bat contre les injustices et les scandales dont personne ne parle. Pendant près d’une heure il s’est confié sur sa marginalité, ses enquêtes, Mediapro et le football français.
Entretien sans langue de bois.
« Peut-on dire que vous êtes marginal dans ce monde journalistique ?
Oui totalement, je ne fais partie d’aucune chapelle, je ne cherche pas à faire carrière, je n’en ai rien à foutre. Je suis le seul à parler de certains sujets, alors qu’il y a en a plein qui pourraient faire ce que je fais. Mais malheureusement je suis tout seul.
Ne pas être rattaché à un groupe ou une chaîne ne vous dérange pas ?
Mais je ne veux pas surtout ! Je sais que j’ai une idée un peu rock’n’roll du métier, je n’ai pas de sécurité financière, je m’en fous de l’actualité. C’est un choix de vie. Quand j’étais à L’Équipe, Fréderic Waringues (rédacteur en chef) m’avait empêché de faire une interview d’un footballeur irlandais. Mais tu es qui pour dire ce que les gens veulent lire. Je n’ai pas envie de vivre à Paris, je veux juste jouer au basket quand j’ai envie et écrire pour des causes qui me tiennent à cœur. Je travaille surement plus que tout le monde, on fait tous la même merde le matin, on doit répondre à tout le monde. Trop de journalistes se prennent pour des gens qu’ils ne sont pas.
Vos enquêtes sur Haïti ou la Fédération française de football ont marqué, quel est le but : dénoncer ou prévenir les gens ?
Pour Haïti, c’était pour que les victimes retrouvent un sens à leur vie. C’était dans un but de justice…Pour ce sujet, ça dépasse le cadre journalistique, il y a un vrai réseau criminel et sexuel derrière. Pour défendre ces gens, je ne suis pas tout seul, il y a toute une équipe. C’est un boulot à plein temps, Zailm, il se reconnaitra, c’est un héros ce gars-là. C’est une affaire de vie ou de mort pour certains, c’est pour ça que ceux qui me demandent des infos sans m’aider : qu’ils aillent bien se faire foutre. Il faut se mettre à la place des victimes, parfois violées à l’âge de dix ans, elles veulent que les coupables aillent en prison.
Et pour la Fédération ce n’était que l’apéritif, les vrais dossiers arrivent. Plusieurs personnes de L’Équipe ont appelé le Times en disant qu’il fallait leur donner l’exclu, c’est pour ça qu’ils n’étaient pas contents que ça sorte à l’étranger. La première partie ce n’était que l’apéritif, c’est le petit accompagnement qu’on vous sert au resto pour vous faire attendre la suite. Le plat de résistance me donne envie de vomir, heureusement que les salariés ont un minimum de conscience. Il n’y a pas un seul dirigeant à sauver là dedans.
Argent, sexe et peu de football, c’est ça pour vous la définition du monde du football actuel ?
Pouvoir, argent, sexe, égo et pas de foot, c’est ce que m’a dit un dirigeant de Clairefontaine : faut se rendre compte quand même. Je vais te donner une info, le président de la Fédération de Madagascar a un mandat d’arrêt contre lui, il est recherché mais il est protégé par les fédérations européennes. L’amour du foot on l’a, les dirigeants non. Mais attention il y a des bonnes personnes. Par contre, celui qui te dit que « le foot c’est un beau milieu », tu peux être sur qu’il mange bien à la fin du mois. (Il rigole)
« Le foot français a fait l’autruche »

Parlons de Mediapro maintenant, dans une de vos vidéos vous annonciez l’échec qui est en train de se produire…
Ah Mediapro… Il fallait juste regarder les comptes, c’est en train de faire comme AMP Silva (entreprise de droits TV qui a coulé pour des problèmes de finances). Mais je suis surpris de la rapidité à laquelle ça se casse la gueule. Quand la boite n’a que 200 millions de trésorerie, pas besoin d’être un génie pour voir qu’il y a un souci. Le foot français n’a pas demandé de garanties, il a fait l’autruche. Les dirigeants ont eu peur de paraitre racistes en demandant une garantie car les capitaux sont Chinois, ils ont péché par cupidité.
À qui la faute alors ?
C’est la faute de tout le monde, ça ne va pas être que la faute de Didier Quillot, il est parti avec un gros chèque. À force de travailler à l’arrache, les politiciens vont encore une fois devoir sauver le foot français. Plus de la moitié des clubs ont un déficit structurel, des clubs comme Bordeaux je ne sais pas comment ils vont faire. D’ailleurs la Ligue a soutenu le rachat du club, gros succès dis donc (ironique). Ce qu’on oublie trop, c’est qu’un club de foot qui coule, c’est tout un monde et une économie locale qui coule avec lui.
Quelles affaires ou anecdotes vous ont le plus choqué dans vos enquêtes ?
J’ai appris qu’un responsable de la Concacaf s’était vu offrir des joueuses et que certains arbitres nommés par la FIFA à Haïti avaient reçu des prostituées en cadeaux.
Quelles sont les prochaines enquêtes ?
Alors la France déjà, ensuite le Gabon puis une sur le patron de l’arbitrage en Colombie, le Salvador, le président de la Fédération tunisienne. Il faut que j’envoie aussi un courrier au préfet des Deux-Sèvres pour lui parler de Niort, mais l’enquête sur la Fédération française va être très longue.
Justement comment trouvez-vous tous vos contacts ?
Je les trouve un peu de partout. C’est plus facile de travailler sur des pays moins médiatisés, les gens parlent plus facilement. Par exemple, c’est plus difficile de trouver des contacts en France qu’à Haïti, je ne suis pas étiqueté sous un média c’est un avantage. Dès que je travaille avec des gens qui ont baigné dans des fédérations françaises, j’ai des soucis. Tout le monde me le dit et je m’en rends compte que bosser avec des Français, c’est une source de problèmes. Et surtout certains ne te répondent pas. Il vaut mieux aller en Amérique Latine, c’est plus facile.
Vous avez parlé dans votre dernier live, d’un processus qui se déclencherait si il vous arrivait quelque chose, c’est vrai ?
Oui c’est un protocole au cas où, il y a un truc qui se libère avec toutes les infos que je ne peux pas publier. Je souhaite que ça ne sorte jamais. Déjà ce serait bon signe pour moi et ça éviterait pas mal de gros scandales.
Finalement êtes-vous dégoûté du monde du football ?
Non pas dégoûté du foot, c’est l’être humain et la couardise des gens qui me laissent pantois. Il n’y a rien d’exceptionnel à défendre des gamines qui se font violer. Cela prend aux tripes, des fois je suis découragé, je sacrifie tout pour ça.
Vous cherchez la justice …
Un contact m’a envoyé un message pour me dire : « tu me donnes l’impression de ne pas te mettre en avant, de chercher la vérité, de ne pas chercher à te mettre en lumière comme 95 % des autres médias ». C’est un gros changement le fait qu’un scandale devienne internationale, voilà pourquoi j’ai publié dans le Times et le Guardian. Quand je mets un pédophile en prison, j’ai juste l’impression d’avoir fait mon travail de journaliste.”
Propos recueillis par Adrien Lejeune
Crédits photos : RTBF et Romain Molina