Buteur vendredi soir en finale de la CAN, Baghdad Bounedjah a traversé vents et marées avant d’envoyer l’Algérie sur le toit de l’Afrique. Portrait du héros des Fennecs.
S’il est aujourd’hui l’un des hommes forts de l’Algérie de Djamel Belmadi, Baghdad Bounedjah n’a pas toujours eu une telle reconnaissance. Puissant physiquement, combatif et muni d’un sens du but aiguisé, le natif d’Oran a suivi un parcours bien loin de celui d’un attaquant international.
Du championnat régional au Ballon d’Or algérien
C’est dans la ville où il a vu le jour, en novembre 1991, que Baghdad Bounedjah tape ses premiers ballons. Il y évolue jusqu’à ses 19 ans, mettant ses qualités de buteur au service du Raed Chabab Gharb d'Oran. Seulement, le club de la deuxième plus grande ville du pays est bien loin du devant de la scène et évolue en sixième division algérienne, soit la deuxième division régionale. Mais Bounedjah attire tout de même l’attention d’El Harrach, un club d’Alger, qui l’enrôle à l’aube de la saison 2011/2012.
Dans la capitale, l’attaquant parvient à se faire un nom, bien aidé par une convocation inattendue en équipe nationale. En octobre 2011, le sélectionneur d’alors Vahid Halilhodzic fait appel à Baghdad Bounedjah pour palier la blessure de Rafik Djebbour. Ce dernier étant finalement déclaré apte au dernier moment, Bounedjah ne dispute pas la moindre minute sous le maillot vert et blanc. Mais sa convocation provoque une attention toute particulière de la part des observateurs, surpris qu’un inconnu évoluant en sixième division il y encore quelques mois soit aux portes des Fennecs.
Sur le terrain, Baghdad Bounedjah s’impose comme le titulaire à la pointe de l’attaque d’El Harrach. Il attise alors la convoitise du club tunisien de l’Etoile du Sahel, l’un des plus grands clubs africains. Bounedjah s’envole pour la Tunisie à l’été 2013 et devient rapidement l’un des chouchous du public de Sousse. Pour sa première saison, l’Algérien inscrit 14 buts en championnat et est sacré meilleur buteur. La même année, l’Etoile du Sahel remporte la Coupe de Tunisie grâce à une réalisation de son nouvel homme clé en finale. L’ancien joueur du RCG Oran dévoile sa palette d’attaquant complet, associant un gabarit imposant (1,84 mètre) à une aisance avec le ballon. Lors de l’exercice suivant, les Rouges et Blancs récidivent en Coupe de Tunisie grâce à un triplé de leur attaquant fétiche. Ils remportent en parallèle la Coupe de la Confédération, l’équivalent de la Ligue Europa en Afrique, compétition marquée par les six buts et la première place au classement des buteurs de Baghdad Bounedjah.
Malgré sa grinta appréciée de tous et des facilités face au but, sa progression est entravée par sa nervosité. Entre réactions excessives et coups de sangs, Bounedjah manque 14 matchs pour cause de suspension entre 2011 et 2015, écopant de 32 cartons jaunes et 3 cartons rouges sur cette période.
Ses performances captent tout de même l’intérêt de plusieurs clubs, et si son nom est repris par plusieurs médias européens, c’est finalement le club qatari d’Al-Sadd qui obtient la signature du numéro 9 de l’Etoile du Sahel. Transféré à l’été 2015, Baghdad Bounedjah ne rejoint officiellement le club de Doha qu’en janvier 2016, ce dernier ayant atteint le nombre maximum autorisé de joueurs étrangers.
Au Qatar, le serial buteur algérien continue de sévir et affiche des statistiques pharamineuses. Pour sa première saison complète, Bounedjah fait valoir son caractère de battant et inscrit 23 buts en 18 matchs de championnat, raflant un nouveau titre de meilleur buteur. En 2017/2018, il fait trembler les filets à 16 reprises en 11 apparitions.
L’année 2018 est certainement le point d’orgue de la carrière de Bounedjah sur le plan individuel. L’attaquant parvient à exporter ses qualités dans l’ensemble de l’Asie et remporte le trophée du meilleur buteur de la Ligue des Champions asiatique, avec 13 réalisations, hissant son équipe jusqu’en demi-finale de la compétition. Mais au-delà de ça, il se voit attribuer le Ballon d’Or algérien devant Youcef Atal (Nice), Youcef Belaili (ES Tunis) ou encore Riyad Mahrez (Manchester City) grâce à ses 58 buts inscrits sur l’année civile, club et sélection nationale confondus. D’un point de vue comptable, c’est mieux que Cristiano Ronaldo (49 buts) et Lionel Messi (51 buts), meilleur buteur en Europe sur cette période. Un temps annoncé sur le Vieux Continent et notamment en France après de telles performances, les intérêts de l’OM ou du LOSC ne se sont finalement jamais concrétisés.
Lors d’une conférence de presse le mois dernier, Samuel Eto’o estimait l’Algérien comme « l’un des meilleurs attaquants africains » au regard de l’exercice 2018/2019. A juste titre. Cette saison, Baghdad Bounedjah a trompé les gardiens de la Qatar Stars League à 39 reprises en 22 sorties, et a marqué 44 buts en 27 matchs toutes compétitions confondues. A 27 ans, l’Algérien semble être à son plus haut niveau, tant dans son jeu que dans son comportement.
Depuis son arrivée dans le Golfe et ses 110 buts en 85 matchs, Bounedjah a en effet appris à maîtriser ses nerfs. Bien que tout de même critiqué pour son tempérament à plusieurs reprises, la cohabitation avec des joueurs expérimentés comme Xavi l’a aidé à davantage se concentrer sur son jeu. « Il me donne beaucoup de bons conseils, j’essaie systématiquement de travailler avec lui à l’entraînement et de m’inspirer de ce qu’il fait », avouait l’attaquant à Onze Mondial en juin 2018.

Un lion parmi les Fennecs
« Le chemin est encore long et je ne dois rien lâcher pour confirmer ce que j’ai pu réaliser jusque-là. Ce n’est pas fini, car j’ai encore beaucoup à montrer. Je veux également battre des records en sélection nationale », confiait un Bounedjah déterminé au site LeButeur.com lors d’une interview en décembre dernier. Pourtant, l’histoire entre l’équipe d’Algérie et son enfant terrible n’a pas été un long fleuve tranquille.
Après sa sélection surprise en 2011, Bounedjah n’est appelé une seconde fois qu’en octobre 2014. Il fait ses premiers pas avec les Fennecs face à l’Ethiopie en novembre, mais ne se contente que de quelques poignées de minutes pendant plus deux de deux ans. Le natif d’Oran est en effet éclipsé par la féroce concurrence d’Islam Slimani, l’un des héros de la belle Coupe du Monde 2014 des Algériens (ndlr : élimination en 1/8ème de finale face à l’Allemagne, futur vainqueur de la compétition, en prolongations).
Mais comme sur la pelouse, Baghdad Bounedjah ne lâche rien et continue à grapiller des minutes. Après avoir pris part aux Jeux Olympiques 2016 avec les Verts (1 but) durant lesquels son sang chaud lui fait à nouveau défaut, il dispute son premier match en intégralité avec les A le 7 janvier 2017 face à la Mauritanie, ouvrant à cette occasion son compteur but en sélection.
Au travers d’une piètre performance lors de la CAN 2017 (élimination au premier tour) et d’une absence à la Coupe du Monde 2018, l’équipe nationale d’Algérie vit une période compliquée. Certains cadres de l’équipe ne répondent pas aux attentes des différents sélectionneurs qui se succèdent, dont Slimani. Bounedjah gagne alors en temps de jeu et s’impose au fil des matchs comme le buteur numéro 1 de sa sélection. Tant et si bien qu’il prend part à 20 des 22 matchs disputés par Les Guerriers du Désert depuis leur échec en qualifications pour la Coupe du Monde en Russie. En 2018, Bounedjah est d’ailleurs le meilleur buteur de sa sélection avec 6 unités sur l’ensemble de l’année civile.
Son statut de titulaire s’affirme davantage depuis la nomination de Djamel Belmadi à la tête de l’Algérie en août 2018, l’ancien joueur formé au PSG appréciant ses qualités de finisseur et son dévouement pour l’équipe. Sous ses ordres, Bounedjah a fait trembler les filets à 8 reprises en 15 rencontres, matchs officiels et amicaux confondus.

A l’heure de préparer le retour des Fennecs au premier plan, Belmadi a logiquement misé sur son buteur qui a relégué Islam Slimani et autres Andy Delort sur le banc. Un choix qui a parfois été contesté lors de la dernière CAN. Si Bounedjah a ouvert son compteur dès le premier match de l’Algérie dans la compétition, l’attaquant d’Al-Sadd n’a ensuite plus trouvé le chemin des filets pendant 402 minutes. Un chiffre contrastant avec ses performances habituelles, mais qui n’a pas pour autant ébranlé la confiance de son entraîneur : « Bounedjah est important. Même quand il ne marque pas, il peut gêner la défense adverse. Il se bat pour chaque ballon et il est à l’origine de presque tous nos buts », déclarait Djamel Belmadi à l’issue du quart de finale contre la Côte d’Ivoire, match durant lequel son joueur avait manqué un pénalty. Au tour suivant, Bounedjah s’adressait quant à lui à ses supporters après un nouveau match sans marquer : « Je promets au peuple algérien que je marquerai en finale pour offrir la Coupe d'Afrique qu'il attend depuis 29 ans ».
Et le serial buteur a tenu parole lors de sa 29ème sélection. A la troisième minute de jeu, le numéro neuf décoche une frappe contrée par Salif Sané. Le ballon s’envole dans les airs et retombe dans les cages d’un Alfred Gomis impuissant, faisant basculer tout un peuple dans l’effervescence.
29 ans plus tard, l’Algérie remporte sa deuxième CAN. Et si elle attendait peut-être davantage de buts de la part de son fer de lance, Baghdad Bounedjah a su attendre le bon moment pour endosser le costume de héros et entrer dans l’histoire. La marque des grands.