5 ans après avoir quitté les bancs de Ligue 1 et Ligue 2, Francis Gillot nous parle de sa nouvelle vie. L'ancien coach de Lens, Sochaux ou encore Bordeaux revient également sur ses passages sur les différents bancs et ses souvenirs les plus marquants de ses 481 matchs en tant qu'entraineur.

Que devenez-vous désormais après avoir arrêté d'entrainer ?

Je suis à la FFF en tant qu’entraineur national. Je fais passer les diplômes BEPF qui sont nécessaires pour entrainer en Ligue 1, Ligue 2 et National. J’ai eu l’occasion d’avoir des garçons comme Regis Le Bris (entraineur de Lorient), Franck Haise (entraineur du RC Lens), ou encore Habib Beye (entraineur du Red Star). On a des promotions de 10 entraineurs que nous avons 1 an avec qui nous faisons 13 sessions, 7 à Clairefontaine qui dure 4 jours et 6 en immersion dans les clubs respectifs. On fait 110 séances à l’année. Je prends beaucoup de plaisir à faire ce que je fais.

Vous décelez des différences entre les entraineurs d’aujourd’hui et ceux de votre génération ?

Non pas vraiment (rires). Quelqu’un comme Franck Haise, il était dans les 10, ni meilleur, ni moins bon que les autres. On ne pensait pas vraiment qu’il allait faire une carrière comme ça. C’est un garçon qui est entraineur depuis 20-25 ans, je ne le considère pas comme un jeune entraineur. J’étais allé le voir à Lens, au moment où il était adjoint de Philippe Montanier, à aucun moment, on ne pouvait penser qu’il exploserait comme il explose aujourd’hui depuis 2-3 ans. Mais je suis fier de le voir réussir, il est bien entouré.

La Data est de plus en plus présente dans le football, quelle est votre vision là-dessus ?

Pourquoi pas, puisqu’il y a des clubs qui réussissent avec, mais je pense qu’il ne faut pas que ça. Il faut continuer à travailler aussi autrement, ça reste un complément. Je pense qu’il faut continuer à aller voir les matchs en direct, à avoir des recruteurs qui sentent le foot, qui se déplacent. Il faut les deux, je ne suis pas contre, je suis pour le progrès. C’est un bon outil de complément.

On revient sur votre carrière d’entraineur. En 2003-2004, vous partez aux Émirats arabes-Unies. C’était par opportunisme ou une volonté de voyager ?

J’étais responsable des U18 à Sochaux, avec qui on a été champion de France. Le club devait me faire re-signer, mais au dernier moment cela ne s’est pas fait. Donc j’ai dû partir à l’étranger, car tout était bouclé.

Aux Émirats, j’étais responsable du centre de formation. Je suis parti avec Bruno Metsu qui était entraineur là-bas. J’ai tout de même fait un match sur le banc en finale de Coupe d’Asie puisque Bruno était suspendu. Maintenant, ces pays-là sont attractifs.  Il y avait beaucoup moins de ferveur comme on peut le voir en Arabie Saoudite aujourd’hui. Je pense qu’ils n’ont pas beaucoup progressé depuis 20 ans, l’avenir, c’est plus l’Arabie Saoudite ou le Qatar.

Vous débarquez à Lens en 2004, comment s’est fait la prise de contact ?

C’est le président Martel qui m’a appelé, il avait besoin d’un adjoint supplémentaire pour épauler Joël Muller, la saison précédente, il n’avait pas trop marché Et en janvier l’équipe ne marche toujours pas donc je suis nommé pour les 16 derniers matchs. On était 15ᵉ, on remonte 7ᵉ donc je suis conservé par la direction. On remporte la finale Intertoto et on joue la Coupe d’Europe.

En 2005-2006, vous finissez 4ᵉ avec le RC Lens, comment on explique cette remontée en si peu de temps ?

On avait un bon groupe avec certains joueurs confirmés comme Seydou Keita, Jussiê, Daniel Cousin ou encore Aruna Dindane. On avait Hilton et Coulibaly derrière qui étaient solides. On était dans une bonne phase. On a réussi à tirer le meilleur de cet effectif. Malheureusement le moment où je pars, ils sont descendus. C’est étonnant de descendre avec cette équipe de qualité. Quand Guy Roux arrive, il a du budget pour recruter. Même quand on a une bonne équipe, il faut se méfier. À l’image de Lyon cette année, personne n’est à l’abri. Le contexte joue beaucoup.

Quelle est la sensation d’être à Bollaert, une ambiance à part ?

J’ai joué 9 ans là-bas, déjà y jouer c’était pas mal (rires), mais déjà à l’époque, il y avait du monde. Sur toute la longueur du terrain, ce n’était pas des places assises, les gens étaient debout, donc il y avait encore plus de monde. Le fait d’y rester 9 ans ça explique tout, c’était très dur de partir de Lens, on avait tout ce qui fallait. Quand on est au RC Lens, c’est très dur d’y partir. Chaque match, tu sais que tu vas jouer devant un stade plein, c’est quelque chose magique, d’à part.

“Si on perd deux matchs de suite, on est morts.”

Comment se passe le retour à Sochaux en janvier 2008 ?

C’est le groupe Peugeot qui me contacte, car je m’étais un peu engueulé avec la direction avant de partir aux Émirats. Donc ce n’est pas le président qui me fait revenir, mais il avait les ordres de la famille Peugeot. Quand j’arrive, l’équipe est en grosse difficulté. On est avant-dernier avec 6 points de retard sur le premier non relégable (le PSG). Et on parvient à se sauver à 3 journées de la fin. (Sochaux finira 14ᵉ avec 44 points).

Comment on relance un vestiaire qui doit jouer le maintien ?

Il faut beaucoup de choses (rires). Il faut remobiliser tout le monde. Sur un effectif de 25-30 joueurs, il y en a une dizaine qui ne joue pas. Ils espèrent qu’avec le nouveau coach, ils auront un peu plus de temps de jeu. Il faut considérer tout le monde de la même façon, remettre tout le monde sur un pied d’égalité. Je me rappelle avoir dit aux joueurs : « Si on perd deux matchs de suite, on est morts. » Donc il faut très vite se remobiliser après une contre-performance. Je me souviens, j'avais enlevé un tableau qu’on voyait toujours dans le couloir avec le classement et Sochaux dans la zone rouge. J’ai repris un tableau vierge sur lequel on mettait le classement à partir du moment où on est arrivé avec mon staff. Et je leur avais confié, si on est dans les 10 premiers sur la phase retour, on se sauvera. C’était plus agréable de voir ce tableau que l’ancien. Ce n’est pas ça qui te fait se maintenir, mais mentalement ça te fait du bien. Il te faut un peu de réussite également. On gagne les premiers matchs, ça te donne confiance et tu peux créer une dynamique positive.

À Sochaux, vous avez eu l’occasion d’avoir Marvin Martin, comment expliquer qu’il n’a pas pu confirmer les attentes ?

Je n’ai pas vraiment d’explication, la dernière année avant que je parte, il est dans tous les bons coups, il est sélectionné en équipe de France. La presse ne l’a pas aidée. Après, je suis parti de Sochaux, je sais que Rudi Garcia m’avait appelé pour prendre des renseignements à Lille. J’étais surpris qu’il ne réussisse pas. Nous, il avait deux attaquants devant lui, c’est un garçon qui est un très bon passeur. À Lille, il n’avait qu’un attaquant devant lui, il est un peu tributaire des autres. C’est peut-être l’une des explications en tout cas sur le point sportif.

À l’entrainement, il était au-dessus des autres ?

Non pas vraiment, la dernière année, on termine 5ᵉ, on a une très bonne équipe surtout sur le plan offensif. Il n’était pas au-dessus de Ryad Boudebouz ou de Nicolas Maurice-Belay mais c’était vraiment un excellent passeur. Quand j’arrive à Sochaux, il joue en CFA, il explose d’un seul coup, et c’était une bonne surprise pour nous.

“J’avais d’autres propositions mais Bordeaux ça ne se refuse pas !”

En juin 2011, vous arrivez à Bordeaux, pourquoi ce choix ?

On fait une très bonne dernière saison avec Sochaux, on se qualifie en Europe mais je ne m’entendais toujours pas avec le président. Je voulais que le club prolonge certains joueurs, ils ne l’ont pas fait comme Nicolas Maurice-Belay. Donc, je fais mes valises, j’avais d’autres propositions mais Bordeaux ça ne se refuse pas. Mais à la signature, j’ai constaté que j’avais un moins bon effectif qu’à Sochaux. La dernière année à Sochaux, on gagne 4-0 à Bordeaux par ailleurs. C’est le jour où Jean Tigana démissionne de son poste d’entraineur.

Qu’est-ce qu’il manquait à ce groupe ?

Après le titre de champion de France, ils ont perdu beaucoup de joueurs. 2 ans après ce n’était plus la même équipe que sous Laurent Blanc, et je pense que Tigana l’a payé aussi d’ailleurs. Il fallait tout reconstruire je m’attendais à une première saison difficile. Et cela s’est confirmé, la première partie de saison était compliquée. Mais j’ai changé de système, Mariano arrive à la trêve, et on a bien fini et on décroche l’Europe.

J’ai constaté également que devant on n’avait pas de vitesse donc je fais venir Maurice-Belay libre l’été. Les deux premières années avec Benoit Trémoulinas, ils ont fait du bon travail, c’était l’un de nos points forts ce côté gauche.

En 2013, vous gagnez la Coupe de France avec Bordeaux, c’est le dernier trophée remporté par le club. Quel souvenir gardez-vous ?

C’est un souvenir que j’aurai en tête toute ma vie. Un jour de final, c’est une bonne journée, surtout lorsque l’on gagne (rires). C’était un super moment pour tout le monde, voir tout le monde heureux, c’est un super souvenir. Ce ne sont pas des journées qui se répètent souvent, mais au moins j’en aurais eu une dans ma vie.

Pas trop de stress pendant la rencontre ?

Je n’étais pas trop inquiet malgré le scénario, car je pense que l’on était supérieur sur le match. On a toujours mené au score. Allez oui, le pénalty raté m’a fait un peu douter. Mais je pense qu’on méritait sur l’ensemble du match.

Vous êtes le 2e l’entraineur de Sochaux à être resté le plus sur le banc au XXI e siècle (derrière Omar Daf), à Bordeaux, vous êtes l’entraineur qui a eu la plus longue longévité depuis Elie Baup. Comment expliquez-vous cette régularité ?

Et encore à Bordeaux je suis partie 1 an à la fin de mon contrat (rires). À chaque fois à Lens, Sochaux ou Bordeaux, je signais 2 ans et à chaque fois je re-signe, je pense qu’on faisait du bon travail avec le staff. Je suis toujours partie 1 an avant la fin de mon contrat car j’estimais qu’on me demandait toujours plus avec moins de moyens. Je ne suis pas un magicien, j’ai toujours eu des bonnes bases de joueur. Je n’ai jamais été viré en plus de 400 matchs officiels. Je faisais le maximum, on doit travailler, bien réfléchir avant de prendre une décision, et je n’avais jamais de regret même en cas de mauvais résultats. J’ai passé des jours et des nuits à regarder des matchs et des matchs.

“J’étais un peu atypique d’après ce qu’on m’a dit. Je suis quelqu’un de cash. Aujourd’hui, beaucoup d’entraineur ont des langues de bois”

Après toutes ses aventures françaises, vous partez en Chine, racontez-nous comment c’était là-bas.

Je rencontre le président à Madrid, il me présente le projet et il m’a convaincu. Je suis resté un an et je ne regrette pas du tout. J’ai découvert un super président, un super traducteur, et des joueurs avec une autre mentalité qu’en France. On fait plutôt une bonne saison par ailleurs, on avait aucun international et on fait une finale de coupe et on termine dans le top 5.

Quand vous parlez des mentalités différentes, c’est-à-dire ?

Ils sont très à l’écoute, vraiment une envie de progresser, aucun écart, aucun retard. On n’est pas embêté par les potentiels problèmes extra-sportifs. En France, sur un effectif de 25 joueurs, tu en auras toujours deux ou trois en retard, là-bas les 25 sont à l’heure.

Vous suivez toujours vos anciens clubs ?

Oui bien-sûr, du fait de ma profession, ça m’arrive d’aller à Bordeaux voir des matchs. Aujourd’hui des matchs, j’en bouffe presque autant que quand j’étais entraineur (rires).

Vous l’évaluez comment le début de saison des Girondins ?

Vous savez, ça va tellement vite, il suffit de gagner 3-4 matchs pour se replacer, les équipes qui sont devant certaines auront peut-être du mal à aller jusqu’au bout. Il reste encore des matchs, c’est trop tôt pour tirer des conclusions.

Sochaux a failli mourir cet été, comment vous avez vécu la situation ?

Quand on fait des conneries, on les paye. Je suis parti, car je n’étais pas d’accord avec ce qui se faisait là-bas, ensuite il y a eu une longue descente aux enfers. Au haut niveau, il faut être sérieux, ne pas faire de conneries sinon tu le payes cash. J’espère qu’ils pourront remonter car il y a des gens que j’apprécie beaucoup là-bas. Je me souviens à l’époque dans la tribune il y avait un panneau avec inscrit le nombre de matchs en Ligue 1 car c’était le club avec le plus de saison de l’histoire en Ligue 1 (66). Les voir aujourd’hui dans cette position, ça me fait mal au cœur.

Vous avez coaché des U18, vous avez coaché des groupes pros, quelles sont les différences ?

Avec les pros, vous n’avez pas le droit à l’erreur, vous êtes tout de suite pointé du doigt. Avec des jeunes, vous avez plus de temps, vous avez 2 ou 3 jokers. Avec un groupe pro, vous n’avez pas joker. Il faut faire attention à tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit. Ce n’est pas le même métier.

En tant qu’entraineur, quels étaient vos rapports aux médias ?

J’aimais bien, c’était un jeu, je voulais voir jusqu’où ils pouvaient aller. J’étais un peu atypique d’après ce qu’on m’a dit. Je suis quelqu’un de cash. Aujourd’hui, beaucoup d’entraineur ont des langues de bois pour ne pas se fâcher avec les dirigeants, les joueurs. Moi, quand ça n’allait pas je le disais, ça plait, ça ne plait pas tant pis. J’aurais peut-être duré un peu plus longtemps si j’avais eu la presse un peu plus avec moi. Ça ne me dérangeait pas de les titiller.

Vous pensez que cela vous a coûté des opportunités ?

Certainement, car dans chaque club où je suis passé, on a joué l’Europe, quand il a fallu sauver un club, il a été sauvé. Le contrat était toujours rempli. Mais, ça ne me dérange pas.