Tennis

Souvenir et passion : Quand un point peut tout changer !

7 Juin 2009. Il s’écroule sur la terre battue, le coup droit de son adversaire vient de rebondir dans le couloir. Nous crions et sautons pour extérioriser notre joie et évacuer l’accumulation de stress. Lui ? C’est Roger Federer et il vient de remporter son premier Roland Garros, son 14ème titre du Grand Chelem. Nous ? Nous sommes l’équipe 2 du Racing Tennis Club de Joinville. Nous avons attendu la fin de cette finale pour reprendre les traditionnels matchs d’équipe de printemps interrompus par la pluie. Nous sommes tous réunis, avec l’équipe adverse, dans le club house, depuis le tie-break du 2ème, pour voir la fin de ce match. Finissant en premier, je n’ai pas été un équipier modèle ce jour-là en ne manquant presque aucun point du match qui fit entrer le Roi Roger dans la légende. Aujourd’hui encore, je repense souvent à ce tournoi. En fait, je repense souvent à un point en particulier. Pas en finale mais en ⅛. Face à Tommy Haas, les gens ont tendance à l’oublier, mais le Suisse est mené 2 sets à 0 et est au bord de l’élimination. Jusqu’à une balle de break en faveur de l’Allemand : 4-3, 30-40. C’était il y a 10 ans.

Replaçons le match dans son contexte. Roland Garros, édition 2009. Nadal est quadruple tenant du titre, ultra favori mais… Pour la première fois depuis 2007, Federer a battu Nadal et ce sur terre, à Madrid. Là n’est pas le fait le plus important du mois du mai. La veille du 1/8 de son rival, Rafael Nadal a perdu face à un Suédois, sans grande référence, Robin Soderling. Cataclysme, tremblement de terre, raz de marée… Tous les phénomènes surnaturels sont utilisés pour qualifier la défaite du numéro 1 mondial et Maître invaincu (jusque là) Porte d’Auteuil. “C’est bon, il va le faire, c’est son année”. Tout ça, Federer a dû l’entendre pendant les 24 heures séparant la défaite de l’Espagnol de son match contre son pote Tommy. En un week-end, il est passé du statut de premier outsider à celui d’archi favori avec l’obligation de s’imposer.

“[C’est l’année où jamais] exactement ce que je ne veux pas entendre”

Federer après la défaite de Nadal, admettant tout de même qu’il était maintenant le favori.

C’est donc libéré d’un certain poids mais en en transportant un mille fois plus lourd qu’il rentre sur le court Philippe Chatrier ce 1er Juin, Lundi de la Pentecôte. Il y a beaucoup de vent ce jour là. Un vent qui tourbillonne une fois au centre de l'arène, un vent difficile à maîtriser. Un vent nouveau peut être ? Que se passe-t-il dans la tête de Roger Federer quand Marc Maury, le speaker du Stade, l’appelle sur le court ? C’est la première fois qu’il entre sur ce Central avec une telle pancarte dans le dos.

Je m’installe alors dans le fauteuil chez ma grand-mère. En fan du Suisse, je suis à la fois détendu et stressé. « Et si cette édition était totalement folle au point d’éliminer les deux premiers mondiaux en un week-end ? » Aussi bipolaire qu’est mon état, Tommy Haas a autant l’air d’un faire-valoir que d’un bourreau. L’ancien numéro 2 mondial n’a jamais battu Federer. « Il ne peut pas faire ça aujourd’hui à son pote. » Evidemment, il ne l’entend pas de cette manière. S’il peut empêcher la légende de s’écrire, il ne va pas se gêner.

 

Tout commence mal

C’est un Federer grognon qui rentre sur le court. C’est la première fois qu’il joue l’Allemand sur terre battue (et la dernière mais ça, ils ne le savent pas encore). Le vent ne souffle pas encore à pleine puissance mais le Maître a la mine des mauvais jours. Pourtant, vainqueur de ses sept premiers jeux de services sans perdre un seul point, rien ne semble atteindre le Suisse qui se donne les moyens d’aller tranquillement en quart de finale. Le premier set est toutefois assez haché avec de nombreuses fautes directes, le vent n’aidant pas les deux protagonistes. Federer donne l’impression de vouloir en finir au plus vite ; cet état d’esprit est rarement bon lors d’un match de tennis. Malgré tout, le Suisse est au dessus dans tous les compartiments du jeu. Mais les stats ne prennent pas en compte un élément essentiel : les points clés. C’est là que Haas a devancé Roger. Contrairement au Suisse, le Hambourgeois n’a pas eu de balles de break. Il n’a même pas gagné un seul point au retour. En revanche, il a sauvé la seule que Federer a eu. Et dans le tie break, il gagne ses deux premiers points sur le service adverse. Deux points qui font la différence dans ce premier set, 7-4 Haas dans le tie break. Voilà Federer mené 1 set 0. “Le week-end n’a pas fini de nous réserver des surprises…”

Tommy Haas sent que c'est peut être son jour face au Suisse – AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

Le 2ème set ressemble au 1er. Même si Federer sert un peu moins bien, il est toujours au dessus dans la plupart des compartiments du jeu. Il breake même en premier, à 1 partout. On se dit alors qu’il est lancé et que le premier set n’était qu’un accident. Mais il est un peu moins tranchant. Et, à 4-3 en sa faveur, sur un décalage coup droit, il sort la balle et offre le débreak à l’Allemand. 4-4. Le stress remonte. Les murmures du stade aussi.Tommy Haas peut-il le faire ? Les prochains jeux seront cruciaux. On sent l'Helvète fébrile. Il n’arrive pas à se libérer. Le fantôme de Nadal est-il encore présent sur le court Philippe Chatrier au point de venir hanter Federer, comme il l’a fait en finale des 3 précédentes éditions ? Tommy Haas, lui, retrouve comme une seconde jeunesse. Il frappe plus fort, il monte au filet, forçant Federer à la faute. Des fautes, il en commet trop. A 6-5, il sert pour rejouer un tie-break mais l’Allemand est une nouvelle fois opportuniste et profite des cadeaux adverses. 7-5. Que se passe-t-il ? Pourquoi commet-il des erreurs si grossières ? Est-ce le début d’une nouvelle ère pour le tennis ?

 

Le vent du renouveau ?

Je ne peux pas regarder ça. J’ai besoin d’une pause ! Je décide d’aller faire un petit tour dehors pour prendre l’air. C’est sûrement ce dont aurait besoin Federer à ce moment-là. Lui, il change juste de t-shirt. Comme si c’était le début d’un nouveau match. Dans sa tête, ça l’est. Sauf que cette fois, il n’a plus le droit à l’erreur. Sur le Philippe Chatrier, le public est plus nombreux. Ils ont quitté les allées, ont fini leur déjeuner et veulent assister à ce qui peut être la chute de l’autre roi du tennis. Dès que je reviens de mon petit tour, tout le monde regarde le match. Même ma grand mère s’est installée devant la télé. Toute la famille craint que le Suisse puisse être éliminé. Tout le monde se dit alors qu’il est en train de laisser passer sa seule chance de gagner le Grand Chelem français. Et puis, après, il sera trop vieux. Il approchera la trentaine et son meilleur niveau sera derrière lui…
Depuis Wimbledon 2004, il s’est toujours hissé au moins en demi finale de chaque Grand Chelem disputé. Il faut bien que la série se termine un moment. Ce jour semble arrivé. Sa dernière défaite avant le dernier carré majeur était déjà à Paris, contre, à l’époque, le chouchou du public, Guga. Depuis, Federer a pris cette place de numéro 1 dans le cœur des supporters. Personne ne veut le voir perdre aujourd’hui. Plus tard, même Nadal saluera son rival en déclarant que “Federer est celui qui mérite le plus le titre”.

Que se passe-t-il dans la tête de Federer mené au changement de côté ? – Image Hiveminer

Dès le début de ce qui pourrait être le dernier set du match, Haas est en confiance. Les deux joueurs sont tout de même solide sur leur engagement respectif. Mais Federer est frustré. Il n’arrive pas à dicter le jeu avec son coup droit et continue de commettre trop de fautes sur ce coup. A 3-3, il pousse même un cri qui résonne sur le court comme un appel à l’aide. Les dieux du tennis vont-ils l’entendre ? Au changement de côté à 4-3 pour Haas, chacun y va de son pronostique. Qui va gagner Roland cette année ? Le Suisse est à 2 jeux de la défaite… 8 points et c’en ai fini de ses rêves de Coupe des Mousquetaires. Alors ? Soderling, qui a battu Nadal ? Del Potro, le jeune Argentin qui pousse ? Et pourquoi pas Gaël Monfils, qui affrontera très sûrement le bourreau de Federer en quart de finale ?

 

Un coup pour mener vers la légende

Mais, ce match n’est pas terminé. Ou du moins, c’est ce que Federer souhaite, et tous ses fans avec lui. Haas, lui, sent que c’est le moment. Il frappe plus fort pour boucler ce match au plus vite. Une volée gagnante puis une faute de Federer, 15A. Sur chacun des points, la foule retient son souffle. Une nouvelle belle attaque suivie d’une autre faute de coup droit, 30A. Le vent se fait un peu plus fort au milieu du court, et là… catastrophe. Un coup pénalty qui sort d’un bon mètre pour Federer après une bonne première. La voix grave de Kader Nouni, sur la chaise d’arbitre, résonne dans le stade : ”30-40”, balle de break Haas. Elle a tout d’une balle de match…
Que se passe-t-il à ce moment là dans la tête de l’homme au 13 Grand Chelem ? Le public applaudit timidement, tiraillé entre l’idée d’encourager le Maître et la peur de le déconcentrer juste avant ce point ô combien important. FAUUUUTE ! La première est dehors. Aïe aïe aïe, ça commence mal. Deuxième service. Dans un silence extrêmement pesant, Roger sert une balle liftée sur le revers à une main de Tommy, retour croisé…

Et là…

Le temps est suspendu

Federer commence à se décaler pour tourner autour de son revers. Il l’a loupé tant de fois celui là pendant le match. Pourquoi tente-t-il ça maintenant alors qu’il a commis plus d’une vingtaine de fautes en coup droit ?

Le coup part… Les soupirs de crispation se font entendre tout autour de moi. Et…

La balle retombe juste à côté de la ligne… A l’intérieur du court. Tout le monde se décrispe et respire un grand coup.

Était-ce du courage ou de la folie ? Il faut être courageux pour devenir un champion, mais je crois qu’il faut de la folie pour devenir une légende. “S’il gagne ce match, s’il gagne le tournoi, il faudra se souvenir de ce coup.” Un gros service et une faute de Haas plus tard, il peut lâcher un “ALLEEEZ” de décompression. A ce moment, on ne le sait pas, mais l’Allemand ne gagnera plus que 2 jeux dans ce match, Roger redevenant Federer, redevenant intouchable. La foule semble voir que quelque chose se passe et entonne des “ROGER ROGER”.

“Ce coup a sauvé ma journée. J’ai le sentiment que ça a été mon premier bon coup du match. J’étais vraiment mal et ce coup est arrivé.”

Après ce coup et ce jeu, plus rien ne semble pouvoir lui arriver. Il déclarera même qu’il savait qu’il renverserait la vapeur une fois la balle de break sauvée. Et c’est ce qui se passera. Grâce à une énorme défense, il breake tout de suite après et empoche le 3ème set 6-4. Il enchaîne même 9 jeux consécutifs pour remporter 6-0 le 4ème. Même si Haas met fin à la série et parvient à remporter 2 jeux dans la dernière manche, tout le monde sent que le match est plié depuis longtemps. Et c’est le cas. Federer n’aura à sauver qu’une seule balle de (dé)break lors du dernier jeu et s’impose 6/7 5/7 6/4 6/0 6/2 remportant 15 des 17 derniers jeux. Sur la balle de match, il extériorise sa joie et évacue toute la frustration accumulée en envoyant la balle faute de l’Allemand très haut dans les tribunes. Tommy Haas n’avait plus de jus mais c’est surtout Federer qui a joué beaucoup plus juste, comme libéré du poids qu’il avait en début de match.
Libéré ? C’est aussi notre état d’esprit. On peut voir venir la suite du tournoi sereinement. Ce point du 3ème set, on en parle à l’entraînement le lendemain. Maintenant, on essaie d’imaginer la suite de ce tournoi, tous impatient d’être au dimanche suivant, pour la finale mais aussi notre dernier match de poule des championnats par équipe, notre finale à nous.

Le Bâlois rallie donc les quarts de finale. Le mercredi, il viendra à bout de Gaël Monfils en 3 sets. En demi, del Potro s’écroulera après avoir mené 2 sets à 1. La suite, le dimanche, on la connaît. En face, c’est le bourreau de son bourreau. Le premier set est à sens unique, le second est conclu par un tie break parfait et le 3ème est maîtrisé malgré le stress. Et à la fin, les gouttes de pluie viennent se mêler aux larmes sur le visage de l’homme qui vient de réaliser un exploit. L’exploit de remporter les 4 Grand Chelem, l’exploit d’égaler Pete Sampras et ses 14 tournois majeurs.

Roger Federer vient de remporter Roland Garros – Image Boston.com

Quelques années plus tard, Tommy Haas racontera son ressenti du match non sans humour : « s’il manque ce coup, je suis assez sûr que j’aurais gagné. Parfois, on se marre en y repensant. Je lui avais dit que, pour le reste de nos vies, à chaque fois qu’on irait au restaurant, il devrait payer pour me remercier. Le problème, c’est qu’il n’a jamais son portefeuille sur lui. »
Ils se rejoueront quelques semaines après, sur le Center Court de Wimbledon. En demi cette fois, Federer ne se laisse pas surprendre et s’impose facilement en 3 sets. Il rallie la finale qui donnera lieu à un autre duel de légende, face à l’une de ses meilleures victimes, Andy Roddick.
A Roland Garros, par contre, Federer n’a plus regagner de titre. Il a pu livrer de très belles prestations, comme cette demi contre Djokovic en 2011. Cette année, il revient après 3 éditions manquées. Dans les moments compliqués, peut être se souviendra-t-il de cette balle de break, un lundi de la Pentecôte, entre soleil et rafale de vent.

Ce match était loin d’être le plus abouti pour Roger Federer. On peut même dire qu’il était plutôt chaotique. Son niveau de jeu sur l’ensemble du tournoi était d’ailleurs loin de son top. Mais à la fin, ce qu’on retient, c’est le retournement de situation du Maestro. Un point a suffi à donner de la magie à ce match qui en manquait cruellement. Un point a montré que c’était LA bonne année pour Roger. Un point a changé, à jamais, l’histoire du tennis et de sa plus grande légende.

 

Source Image en Une : AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

Grand joueur de tennis et ingénieur à ses heures perdues... ou l'inverse je sais plus. Une religion ? Le Federerisme @CaptainMiddle

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