Entre une boisson gazeuse en terrasse et une fin de conversation dans un taxi, j'ai rencontré Alexandra Fournier-Bidoz, ancienne athlète de haut niveau qui travaille désormais chez Deloitte, un cabinet de conseil membre des « Big Four ». Encore un peu déçue par l’annonce du retrait d’Arsène Wenger du club d’Arsenal, elle est revenue sur son parcours sportif puis professionnel. Rencontre avec une femme toujours lucide, au parcours hors-norme et à la carrière unique, qui pourrait gravir l’Everest si elle le désirait.

Bonjour Alexandra, pouvez-vous nous décrire votre parcours sportif ?

J’ai été athlète de haut niveau entre 2006-2011. Mon rêve d’enfant a toujours été de revêtir le maillot de l’Équipe de France. Très sincèrement j’aurais donné ma vie pour ça. J’ai fait pas mal de sports différents (patinage artistique, handball, ski…) mais je me suis tournée vers l’athlétisme suite à des tests physiques effectués dans le milieu scolaire. Et ça a très vite marché !

Et vous suiviez toujours vos études en parallèle ?

J’ai passé mon bac ES dans le cadre d’un cursus classique (non aménagé). Après cela, j’ai quitté ma Savoie natale pour Lyon afin d’entamer des études de droit puis de finance. J’ai privilégié le sport et les études au détriment d’une vie étudiante plus festive. Je ne le regrette absolument pas et si c’était à refaire j’opterais pour les mêmes choix. Je m’étais fixée un objectif. A partir de là, j’ai tout mis en place pour l’atteindre.

Votre carrière se déroulait bien jusqu’à votre blessure…

Tout se passe bien, je fais des podiums nationaux, j’occupe les premières places des bilans nationaux et j’ai donc la chance d’être appelée en sélection.

Je commençais à avoir des douleurs chroniques au dos mais j’arrivais à les gérer. Puis, un jour lors d’une séance de musculation (d’arrachés), j’ai dû modifier le mouvement afin de ne pas abimer le sol de la salle. Ça a été le début de la fin : j’ai eu d’importantes hernies discales. Malgré les douleurs, je suis partie en sélection une semaine après, je ne voulais pas abandonner l’équipe. Avec le recul peut-être que je ne le referais pas et que je me raisonnerais. Je participe donc aux Jeux Méditerranéens, j’étais dans le « ventre mou » du classement, personne ne m’attendait. Mais il se passe « un truc » ce jour-là : je gagne et je bats mon record personnel. Ce fut ma première victoire sous le maillot tricolore.

Comment vous êtes-vous donc soignée ?

Je rentre de sélection et j’ai conscience que la blessure est grave. L’entrainement m’a appris beaucoup sur mon corps et je sens que, 3 semaines de repos ne seront pas suffisantes. Je passe donc 8 mois à essayer de remonter la pente. Presque incapable de marcher, je ne me reconnais plus mais j’aime toujours mon sport et je m’accroche à mon objectif. J’ai la chance de rencontrer une professeur qui accepte de m’opérer puis je pars en rééducation au sein du centre européen de rééducation de sportif (CERS) de St Raphaël. J’y ai tout réappris : marcher, monter et descendre des escaliers… Puis j’ai réappris à être une athlète. Mais malgré toute mon envie, toute ma motivation, je sentais que la perception que j’avais de mes jambes et de mes appuis était différentes. J’étais incapable d’avoir les mêmes prises de risque. Mes contrats d’image arrivaient à échéance : soit je revenais très vite soit je ne revenais pas. J’avais comme une sorte de frein que je n’arrivais pas à lever. Lucide, je savais que je ne pouvais plus concourir au niveau international ; j’ai donc fait un choix : travailler et poursuivre mes études et, même si cela m’a arraché le cœur, arrêter le sport de haut-niveau.

Le staff français a-t-il été présent à partir du moment où vous vous êtes blessée ?

Ce n’est pas l’essentiel. J’ai réalisé de très belles rencontres, par exemple grâce au CERS. Mon entourage a été déterminant avec Pierre-Alexis Pessonneaux, athlète médaillé de bronze aux JO de Londres sur 4X100m et champion d’Europe de relais. Et puis, bien sûr, Patrick Montel (journaliste sportif sur France Télévisions) que j’avais connu lors d’un meeting m’a toujours soutenu. Il m’appelait tous les jours pour connaitre mes progrès et me soutenir. Je lui dois énormément…

Mais après votre blessure vous avez voulu revenir …

Je ne suis jamais retournée en sélection. J’ai recroisé un peu tout le monde lors des compétitions nationales mais j’avais pris du recul ; après toutes ces épreuves je ne voyais plus les choses de la même manière, j’ai pris 10 ans en l’espace de quelques mois !

Puis vous arrivez finalement chez Deloitte …

Pendant ma licence et ma maitrise, j’ai obtenu un CDI dans une banque privée où j’ai été, au fur et à mesure, assistante d’un banquier privé puis banquier privé auprès d’une clientèle de footballeurs professionnels. J’ai ainsi pu rester au contact du milieu sportif.

Après 3 années dans ce secteur, j’ai eu envie d’évoluer et j’ai intégré le domaine du consulting et le cabinet Deloitte un peu par hasard. J’ai fait deux ans et demi de conseil en stratégie et organisation pour les établissements financiers avant de rejoindre la structure Sport Business que souhaitait développer le cabinet.

Travailler dans le sport était une obligation pour vous ?

Une obligation non mais un objectif oui : c’est le milieu dans lequel je me sens bien, dans lequel je me sens utile.

Que faites-vous donc au sein de la structure Sport Business du Cabinet Deloitte ?

Nous travaillons l’ensemble des problématiques liées au milieu sportif. Les clients sont autant des entités privées (ligues, clubs professionnels, équipementiers, etc.) que des collectivités territoriales et structures publiques. Le champ de nos interventions est très vaste car nous pouvons capitaliser sur les nombreuses expertises internes que possèdent le cabinet Deloitte.

Est-ce que vous avez un exemple concret ?

Nous avons accompagné la ligue de football professionnel dans la recherche d’investisseurs étrangers. Nous travaillons également beaucoup sur les thématiques d’impact et d’héritage des évènements sportifs.

Pour des raisons de confidentialité, je ne peux évoquer ni les sujets ni les missions que nous avons menés ou que nous menons actuellement.

Avec le recul, pensez-vous que les jeunes pratiquent le haut niveau trop tôt ?

Le sujet est compliqué. Un corps d’enfant, de jeune ado ou d’ado n’est pas physiologiquement fait pour supporter des charges d’entrainement trop importantes. J’ai le sentiment que les CREPS et autres structures d’entrainement ont de plus en plus conscience de cela. En même temps, personne n’aurait pu m’arrêter et retarder la réalisation de mon rêve…

Comment fait-on pour vivre après le haut niveau ?

J’étais jeune et j’ai mis longtemps à digérer la fin de ma carrière, j’ai bien mis 18 mois à me dire que je ne ferai pas les JO en tant qu’athlète. Heureusement que je faisais des études qui me plaisaient… Si je n’avais eu que le sport, cela aurait été le meilleur moyen de tout rater. Les études ont été une vraie sécurité pour moi.

Est-ce que vous avez un ou des sportifs que vous aimez particulièrement ?

J’admire tous les sportifs amateurs : ceux qui se lèvent le matin, ceux qui font du sport après leur journée de travail,… J’admire tous ceux qui souhaitent se dépasser et qui tiennent leurs objectifs. Après, j’ai quelques athlètes que j’aime beaucoup comme Edinson Cavani, Tony Parker, Roger Federer ou encore le regretté Alain Mimoun. J’aime le beau jeu, les gestes sportifs et, par-dessus tout, les moments forts du sport.

Enfin, que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Très heureuse et très épanouie dans ma vie personnelle, j’aime, bien sûr, rencontrer des gens intéressants et inspirants, dans le milieu professionnel, qui m’incitent à relever de nouveaux et passionnants challenges…