Fabien Libiszewski : “Garry Kasparov, c’est le king !”
En ce jour de repos du tournoi des Candidats 2020, nous vous présentons notre interview de Fabien Libiszewski, Grand Maitre International français, qui commente les parties sur Chess.com France. Rencontre avec celui qui ne compte pas ses heures pour sa passion des échecs.
Quels sont les meilleurs conseils pour les débutants ?
Bêtement, je dirais que le premier conseil est de s'amuser. C'est tout de suite plus facile de passer du temps, s'entraîner et s'améliorer dans un domaine lorsque cela nous plait, sinon autant laisser tomber. Jouez heureux ou ne jouez pas.
Ensuite, les gens qui joueront avec le sourire, apprendre les grands principes pour avoir un fil directeur à suivre dans la partie, arriver à jouer correctement les ouvertures, sans apprendre par cœur mais en suivant les grands principes comme développer ces pièces, contrôler le centre, cacher son roi en roquant rapidement. Lire des livres classiques sera aussi d'une grande aide. Ça fait un peu vieux jeu à l'heure du numérique, mais en lisant un livre, on peut aller à son rythme, se poser des questions, contrairement à ce qui se passe lorsqu'on regarde une vidéo où on suit le rythme du narrateur. Du coup, je pense que l'apprentissage sera plus profond et meilleur en se posant avec son échiquier même si cela sera plus fastidieux.
Jouer des parties et les analyser pour ne plus reproduire les mêmes erreurs est également important je pense. Maintenant, outre les clubs d'échecs, il est facile de jouer gratuitement sur internet sur des sites comme Chess.com ou lichess.org par exemple, qui sont tous les deux excellents.
Les Français sont plutôt bien représentés dans le monde (MVL notamment), la relève est-elle assurée ?
Maxime Vachier-Lagrave (MVL) est un peu l'arbre qui cache la forêt. Il est actuellement numéro 9 mondial et dispute les plus forts tournois au monde mais au final, nous n'avons que trois joueurs dans les Top 100 mondial avec Étienne Bacrot (57e) et Maxime Lagarde (82e). Il y a eu une période 2013-2018 où l'équipe de France pouvait se battre pour des titres internationaux lors des Olympiades ou championnats d'Europe mais j'ai bien peur que l'on ait plus cette chance pendant plusieurs années. Certains jeunes joueurs sont prometteurs mais encore très jeunes alors il est très compliqué de dire de quoi demain sera fait mais d'autres nations me semblent en avance, par exemple les USA, la Chine, l'Inde qui comptent plusieurs Grands Maîtres de moins de 15 ans, sans parler de l'Iran, l'Ouzbékistan et des pays anciens membres de l'URSS…
Garry Kasparov est une légende des échecs, comment le percevez-vous ? Que vous a-t-il appris ?
Kasparov, c'est le King ! C'était mon idole de jeunesse, j'ai grandi dans les échecs lorsqu'il était à son apogée, champion du Monde et numéro 1 mondial pendant 20 ans. C'était une boule d'énergie avec un style de jeu basé sur l'attaque, la destruction de son adversaire. Il a joué un nombre incroyable de parties modèles et a beaucoup aidé à populariser le jeu. Il a arrêté de jouer en 2005 mais maintenant encore, les gens dans la rue connaissent le nom de Kasparov mais pas celui du champion du monde actuel.
C'est un peu l'équivalent d'un Mohamed Ali (à l'échelle des échecs bien sûr !) j'ai envie de dire. Son style de jeu, sa rage de vaincre et sa longévité au plus haut niveau sont impressionnants. J'ai analysé beaucoup de ses parties plus jeune et je me suis inspiré de ses choix dans mes ouvertures pour me faire mon propre répertoire. On aime bien, quand on est petit, essayer de jouer comme nos modèles.
Garry Kasparov, l'idole de Fabien.
Comment fonctionne le système de grade ?
Aux échecs, le système de classement est le classement élo. On gagne ou on perd des points en fonction de ses résultats et du classement de son adversaire. Ce système permet d'estimer la force théorique d'un joueur. Tout le monde commence en bas de l'échelle, avec 1000 points élo et essaie de progresser. Le premier titre international est Maître FIDE pour les joueurs classés à plus de 2300 mais le vrai premier titre réellement significatif est Maître International (MI) pour les joueurs à plus de 2400 élo et enfin, le titre de Grand Maître International (GMI) pour les joueurs à plus de 2500.
Pour les titres de MI et de GMI, en plus d'avoir le élo minimum requis, il faut réaliser trois normes dans trois tournois différents, c'est-à-dire réaliser des tournois de haut niveau, avec certaines conditions à remplir en terme de performance et d'adversité (et bien sûr, les conditions sont plus difficiles pour faire une norme GMI que de MI). Une fois acquis, ces titres sont gardés à vie.
Comment différencie-t-on un Grand Maître d'un Maître National ?
Un Maître National est un bon joueur amateur mais un Grand Maître fait partie a minima plus ou moins du Top 1000 mondial.
Combien de temps faut-il pour atteindre un niveau correct (1800-2000 elo) ?
J'ai envie de dire que cela dépend de la personne, de son talent, est-elle réceptive ? Combien de temps a-t-elle à y consacrer ? Certains ont joué toute leur vie et ne sont jamais arrivés à 1800… D'autres progressent très vite, c'est vraiment difficile à dire.
Comment bien gérer les ouvertures à haut niveau ?
Pour les ouvertures, c'est devenu à la fois plus facile et plus difficile à gérer qu'avant. On a maintenant accès à une source d'informations illimitées et en live alors qu'avant, il fallait attendre la parution de livres ou de magazines. S'informer était très compliqué et on pouvait répéter ces variantes plusieurs fois. Maintenant, cette époque est terminée et la moindre partie que l'on joue est publiée sur internet et donc analysée avec des ordinateurs pour ses futurs adversaires.
Alors, il faut varier beaucoup plus et essayer d'être malin. Je trouve l'approche maintenant beaucoup moins créative mais il faut s'adapter. Maintenant, pour devenir fort, l'approche est surtout basée sur les connaissances théoriques et le calcul, plus tellement sur la compréhension et la connaissance de fond. Donc, il faut bien suivre les dernières parties, arriver à ne pas être trop prévisible, essayer d'anticiper ce que l'adversaire va jouer pour essayer de l'emmener sur un terrain qui ne lui convient pas tellement.
En blitz, il faut savoir jouer vite et anticiper les coups.
Le blitz est surtout de l'instinct. Plus de l'instinct que du calcul d'ailleurs, même s'il est important de calculer vite surtout les petites tactiques. Mais dans le fond, c'est surtout bien placer ces pièces, prendre des décisions rapidement et pas simplement basées sur le calcul. Au final, le blitz est la cadence qui fait le plus ressortir le niveau intrinsèque des joueurs.
En tant qu'ancien sélectionneur de l'équipe de France, comment faisiez-vous pour motiver vos joueurs ?
Je ne faisais pas de grands discours ! On était un très bon groupe qui s'entendait bien et les joueurs étaient très pros et très motivés. On a fait de bonnes campagnes, manquant parfois d'un petit peu de réussite pour obtenir plus mais c'étaient de belles années. Par contre, globalement, je pense que les joueurs d'échecs devraient essayer de se rapprocher de coachs dans d'autres sports pour avoir la meilleure approche possible pour les compétitions ou au moins avoir un coach mental. C'est encore un côté trop négligé mais qui aiderait la plupart d'entre nous car même si les échecs sont un sport très logique, c'est également un combat mental contre l'adversaire mais aussi contre soi-même et arriver à jouer à 100% est déjà un énorme plus !
Pensez-vous apporter aux échecs français, notamment grâce à vos interventions régulières sur la chaîne Blitzstream ?
Oui sans aucun doute ! Kevin a créé la chaîne il y a plus de 7 ans et a entamé un énorme travail avec la chaîne Blitzstream, qui compte maintenant 39 000 abonnés et je suis très content de participer activement à l'aventure. En plus, je m'entends bien avec Kevin, qui est simplement devenu un très bon ami. J'ai envie de profiter de cette interview pour tirer un grand coup de chapeau à Kevin pour son investissement depuis tellement d'années sans aide ni sponsor. Juste avec l'envie de transmettre sa passion pour ce jeu et qui ne compte pas ces heures.
La chaîne Blitzstream est un énorme succès populaire, beaucoup de gens nous remercient. Il m'arrive même qu'on m'arrête dans la rue ou dans un café pour me parler de la chaîne. C'est très agréable. Je pense que la chaîne suit une approche moderne pour démocratiser le jeu. Il est toutefois dommage que l'on n'ait pas plus de soutien dans le monde des échecs de la part des institutions car le travail fourni sur la chaîne est titanesque et très sérieux, avec au minimum 3 vidéos sorties par semaine.
Toutes les analyses publiées ont été fouillées de fond en comble, chaque partie importante jouée depuis 7 ans a été commentée, il y a des milliers de vidéos disponibles gratuitement, une vraie mine d'or pour quelqu'un qui veut progresser tout en s'amusant. Le ton est très accessible et la chaîne s'adresse autant aux joueurs débutants que confirmés. Chacun peut y trouver son compte.
Fabien qui analyse une de ses parties sur la chaîne Blitzstream. (capture d'écran Youtube)
Vous pouvez retrouver Fabien aux commentaires des Candidats sur la chaîne de Chess.com France et le soir sur la chaine Twitch de Blitzstream pour l'émission FAAAAAAAB. Merci à lui de nous avoir accordé de son temps pour cet entretien.