On continue notre découverte des frenchies qui évoluent en NCAA. Après le basketteur Nicolas Elame, on part aujourd’hui à la découverte de Jordan Avissey. Âgé de vingt-deux ans, Jordan pratique le football américain depuis quelques années seulement mais il évolue déjà au plus haut niveau universitaire avec les Bulls de Buffalo. Entre basket, blessure, équipe de France et voyage aux Bahamas, Jordan Avissey nous fait découvrir son parcours qui l’a mené d'Orléans à Buffalo.
We Sport: Pour commencer est-ce que tu peux nous parler de tes débuts en tant que sportif ?
Jordan Avissey: J’ai commencé le sport à quinze ans et au début je faisais du basket. Je n’ai donc pas grandi dans un environnement sportif. Très rapidement, j’ai été recruté au centre de formation d’Orléans (en Pro A, aujourd'hui Jeep Elite). Malheureusement je me suis cassé le genou lors de ma première année, une blessure qui m’a éloigné des terrains pendant un an et demi. Cette période a été une grosse période de doute pour moi. La blessure, rupture totale du tendon rotulien, était très importante et on m’a clairement dit sur mon lit d’hôpital qu’il serait difficile de continuer ma carrière de sportif de haut niveau.
Malgré ça j’ai beaucoup travaillé et je suis revenu sur les terrains plus fort que je ne l’étais. J’ai donc joué au basket pendant quelques années, j’étais capitaine de mon équipe et on a eu l’occasion de remporter notre championnat. Mais après cette victoire, le basket ne me disait plus rien. J’avais l’impression d’avoir fait le tour de ce sport.
WS: Tu as donc débuté par le basket mais comment as-tu découvert le football américain ?
JA: Par hasard ! C'est un ami de ma ville (ndlr : Orléans) qui m’a dit de venir essayer le football américain. Vu mon gabarit, je me suis dit pourquoi pas. En plus, au basket, j’avais un style très agressif et très défensif donc le contact ne me faisait pas peur. J’ai commencé le foot US à dix-neuf ans aux Chevaliers d’Orléans, club de troisième division. Pour la petite histoire, je n’avais pas de crampons lors du premier entrainement. Je suis arrivé avec ma paire de Lebron ! Mais je suis directement tombé amoureux de ce sport. Depuis je n’ai plus lâché même s'il y a eu beaucoup d’incompréhension autour de moi. Beaucoup de personnes ne comprenaient pas cette décision d’arrêter le basket pour un sport plutôt inconnu en France. De mon côté, je sentais que quelque chose se passait avec ce sport.
Après quelques mois, j’ai été recruté par une High School au Canada. Ça a été une belle opportunité et je n’ai pas hésité à partir. J’ai donc débarqué dans un endroit perdu du Québec (ndlr : Thetford Mines). Dans cette ville, il y avait seulement un McDo et des mines d’amiantes ! Mais ça a quand même été une bonne expérience. J’ai eu la chance d’être entouré de joueurs de qualité, ce qui m’a permis de me développer et d’apprendre. Il y avait des joueurs français qui évoluaient en équipe de France junior et également des canadiens qui jouaient au foot depuis l’âge de quatre ans.
« J’ai eu la chance d’être sélectionné en équipe de France senior. Ça a été une expérience extraordinaire »
Grâce à cette expérience au Canada, j’ai eu la chance d’être sélectionné en équipe de France senior. Ça a été une expérience extraordinaire. J’étais le plus jeune du groupe. Cela ne faisait que deux ans que je faisais du foot et je me retrouve aux championnats d’Europe en Finlande où on a remporté le premier titre de l’histoire du foot US français. J’avais l’impression d’être dans un rêve. Un rêve où je vivais, depuis mes quinze ans, un enchainement d’expériences de vie extraordinaires.

WS: Tu as ensuite décidé de partir à l’assaut de la NCAA ?
JA: Ce titre en équipe de France m’a permis de gagner une certaine crédibilité et une certaine notoriété. À partir de là, j’ai commencé à me mettre sur le marché du recrutement des universités. Ça se passait beaucoup sur les réseaux sociaux et le titre de champion d’Europe m’a donné une meilleure visibilité auprès des scouts américains. J’ai reçu des offres de grosses écoles, des écoles dont j’entendais parler seulement à la télé comme par exemple Virginia ou North Carolina. Ces coachs-là venaient me parler pour me demander pourquoi ils n’avaient jamais entendu parler de moi ! À ce moment là, j’ai reçu des offres d’écoles et j’ai commencé à faire des visites. Buffalo a été la première université à m’offrir une bourse.
WS: Quand on connait les frais d’inscriptions dans une université américaine, recevoir une bourse était quelque chose d’indispensable pour toi ?
JA: Oui c’était un point très important. Plusieurs universités m’ont offert une bourse complète mais Buffalo a été la première. Cette offre a été très importante pour moi car souvent les universités t’offrent une bourse pour répondre à la hype d’un joueur. Par contre, une école qui t’offre une bourse avant les autres ça veut dire quelque chose. En plus, Buffalo m’a dressé le tapis rouge. Des coachs sont venus me voir chez moi, ils m’ont invité à venir visiter la fac. Je n’avais que quelques saisons de football derrière moi et entendre des coachs parler de mon potentiel NFL, c’est juste incroyable.
WS: C’est donc ta deuxième saison à Buffalo, comment s’est passé la première ?
JA: Pour ma première saison, j’ai donc été « redshirt ». C’est une année qui ne compte pas dans ton éligibilité. En quelques sorte, c'est une année d’apprentissage. Ça m’a permis d’apprendre le système, de m’acclimater dans mon nouvel environnement, de me familiariser avec le playbook et les coachs.
J’ai également eu la chance d’être en collocation avec le petit frère de Khalil Mack (ndlr : joueur emblématique des Bulls de Buffalo aujourd’hui en NFL). Il était senior la saison passée et il a rejoint son frère aux Bears de Chicago cette saison. Les coachs m’ont mis avec lui pour qu’il puisse me prendre sous son aile. C’est un joueur qui joue à la même position que moi sur la ligne défensive et qui a pu beaucoup apprendre au côté de son frère. Être au quotidien avec un senior de cette qualité m’a permis de m’acclimater encore plus vite et d’élever mon niveau en vue de la saison suivante.
WS: Du coup cette saison, tu as plus de temps de jeu que l’année dernière ?
JA: Oui, cette saison je fais partie de la rotation et j’ai beaucoup plus de temps de jeu. Et collectivement, on est toujours invaincu avec quatre victoires. On est actuellement classé 26ème du pays et on est aux portes du Top 25 ! C’est donc une très bonne saison pour le moment malgré le Covid. Les conditions sont forcément différentes, mais même si c’est plus compliqué le coaching staff a fait les efforts nécessaires pour qu’on garde une éthique de travail.
WS: À titre personnel tu es satisfait de ton début de saison ?
JA: Il est assez dur pour moi d’être satisfait ! Il y a toujours des progrès à faire.
WS: Est-ce que tu peux nous raconter l’exploit de ton coéquipier Jaret Patterson qui a inscrit huit touchdowns en un seul match le week-end dernier (ndlr : record NCAA égalé) ?
JA: C’était incroyable ! Même sur Madden en débutant, je ne fais pas de stats comme ça ! Sur le bord du terrain c’était la folie avec en plus une belle victoire. Jaret est vraiment un bon joueur et il profite du gros travail de notre ligne offensive. On a actuellement la troisième meilleure ligne offensive du pays !
WS: Une ligne offensive que tu affrontes à l’entrainement c’est ça ?
JA: Oui, à l’entrainement c’est opposition attaque contre défense. Le fait de s’entrainer contre ces gars là au quotidien, on ne se rend plus vraiment compte à quel point ils sont bons. Mais quand tu es sur le terrain, ça te facilite le travail. Tu es habitué à avoir une opposition de qualité tout au long de la semaine donc ça rend les matchs plus simples.
“Il est assez dur pour moi d’être satisfait ! Il y a toujours des progrès à faire.”
WS: Parlons maintenant de ta vie d’étudiant athlète. Peux-tu nous dire ce que tu étudies et si c’est important pour toi ou si tu es plus concentré sur le football ?
JA: L’école, c’est vraiment très important pour moi. J’ai passé la plupart de ma vie sans pratiquer de sport et je n’étais donc pas prédestiné à être un sportif professionnel, donc l’école a toujours eu une place importante dans mon cœur. Actuellement je prépare un diplôme de sciences politiques et ça se passe plutôt bien.
WS: Comment tu divises ton temps entre le sport et les études ?
JA: On a la chance d’être dans un système, une structure où tout est fait pour faciliter la vie des étudiants athlètes. Tout ce qui est football est concentré la matinée. De six heures à midi c’est football et l’après-midi la vie scolaire commence ! Comme pour le football, on a plein de ressources pour réussir : une aide académique, des halls d’études, des tuteurs, des heures obligatoires. Tout est fait pour qu’on reste éligible, qu’on ait une bonne moyenne générale et qu’on sorte de là avec un diplôme. La NFL est clairement l’objectif qu’on a en tête mais il faut rester lucide et ce diplôme là c’est une valeur sûre qu’on ne pourra jamais te retirer. J’ai l’opportunité d’avoir un diplôme de ce calibre-là « gratuitement », il ne faut pas gâcher cette chance.

WS: Mis à part la NFL, as-tu d’autres plans de carrière pour l’après Buffalo ? Tu envisages de rester aux États-Unis ou de rentrer en France ?
JA: C’est trop tôt pour penser à ça. Je suis concentré sur mon quotidien. C’est tellement prenant que pour l’instant c’est une semaine après l’autre. On se concentre sur le prochain match et ainsi de suite.
WS: Tu partages donc ta vie entre foot et études, est-ce que tu as du temps libre pour profiter de la ville ou voyager ?
JA: Pendant la saison, c’est impossible. Tout le monde le sait, pendant la saison tu dis bye-bye à ta vie sociale, à ta vie en dehors du foot et de l’école. La saison c’est vraiment quelque chose de très intense. Pendant l’intersaison, on a plus de temps libre. J’en profite pour explorer ou pour voyager un peu pendant les vacances, même si avec le Covid c’est compliqué… Les chutes du Niagara sont à trente minutes par exemple. Il y a pas mal de chose à faire dans la région.
WS: Plusieurs joueurs français évoluent cette saison en NCAA. Est-ce que tu as des contacts avec certains de ces joueurs ?
JA: Je suis très proche de Junior (ndlr : Junior Aho, joueur de SMU), on s’appelle presque toutes les semaines. Junior et moi, on est très lié. On se soutient beaucoup lui et moi. C’est vraiment celui avec qui j’ai le plus de contact !
WS: Est-ce que tu t’intéresses à la NFL et aux Bills de Buffalo ?
JA: J’essaye de suivre la NFL. C’est important de regarder pour voir comment les joueurs performent et également pour mieux comprendre le jeu. C’est un jeu plus épuré que lors d’un match universitaire. Forcément je suis les Bills et la fameuse « Bills Mafia » ! Les gens sont fous de ça, c’est une véritable religion ici. J’ai même vu des chiens habillés aux couleurs des Bills !
“En tant que joueur universitaire en NCAA, on se doit d’être un ambassadeur en France et d’essayer de promouvoir et de faire grandir cette discipline”
WS: Je voulais également évoquer avec toi le développement du football américain en France. Tu as un regard extérieur mais qu’est-ce que tu penses de cette évolution ?
JS: Forcément en tant qu’international français, je reste très investi dans le football américain en France et dans le développement de la discipline. En tant que joueur universitaire en NCAA, on se doit d’être un ambassadeur en France et d’essayer de promouvoir et de faire grandir cette discipline.
Je travaille avec la fédération pour essayer de mettre en place des actions. Je suis également investi dans ma ville d’Orléans et je profite de mon expérience pour pouvoir parler avec les plus jeunes. J’essaye de leurs transmettre ces valeurs de persévérance et de leur dire que le football américain peut changer une vie.
WS: Quelles sont tes relations actuelles avec l’équipe de France, tu es encore international français à l’heure actuelle ?
JS: Ma carrière internationale est actuellement entre parenthèses… Je ne pense pas que les coachs de Buffalo me laisseraient partir pour aller jouer avec l’équipe de France. Le risque de blessure notamment est trop important.
WS: Pour finir, est-ce que tu pourrais me parler de ton meilleur souvenir en NCAA ?
JS: J’ai deux souvenirs qui me reviennent. Mon meilleur souvenir restera forcément le premier snap. Le coach m’a dit « Jordan soit prêt, tu vas rentrer ». À ce moment-là, ça a été une émotion extraordinaire. Il faisait froid mais j’avais chaud ! C’était l’aboutissement de tellement de travail, c’est bon, je l’avais fait.
Mon autre souvenir est notre voyage aux Bahamas, pour le Bahamas Bowl (ndlr : remporté 31-9 contre Charlotte). Une semaine de rêve qui clôturait une très belle saison !
Crédit photo couverture: Jordan Avissey