Les liens entre sport, sport business et géopolitique sont extrêmement étroits et l’affaire Peng Shuai en est la preuve la plus récente.
Le sport par sa popularité et sa capacité à mobiliser un grand nombre de personnes à travers le monde a permis de mettre en lumière un acte que la chine a déjà commis : la disparition de personnes critiquant le régime.
Qu’est ce que l’affaire Peng Shuai ? Et quelles en sont les conséquences géopolitiques pour le CIO et la chine, économiques pour la WTA ?
La chronologie des faits
Peng Shuai, est une joueuse chinoise de tennis âgée de 35 ans évoluant au plus haut niveau. Ex 14ème meilleure joueuse mondiale en 2011, elle a notamment gagné Roland-Garros et Wimbledon en double.
Le 2 novembre 2021, Peng Shuai poste un message sur le réseau social chinois Weibo. Dans ce message, la joueuse accuse Zhang Gaioli de l’avoir agressé sexuellement et violé. Or, Zhang Gaioli est l’ancien vice premier ministre chinois, et membre important du parti communiste chinois. A peine 20 minutes après la diffusion du message, le post est censuré et supprimé.
Le monde n’a alors plus aucune nouvelle de Peng Shuai jusqu’au 17 novembre. La mobilisation du monde du tennis et plus largement des réseaux sociaux a contraint la chine à réagir sur cette affaire. En effet il n’était plus soutenable de maintenir le silence sur cette affaire alors que des stars comme Naomi Osaka, Séréna Williams ou Novak Djokovic ont demandé une preuve de vie de Peng Shuai avec le slogan #whereisPengShuai. Le patron de la WTA, Steve Simon et les ministères des affaires étrangères dont la France ont eux aussi fait pression sur la Chine.
Les médias gouvernementaux chinois ont d’abord posté un courrier supposé écrit par Peng Shuai, puis des photos et enfin une vidéo montrant à l’image la joueuse chinoise.
Si nous savons que Peng Shuai est vivante, beaucoup à l’image de Steve Simon craignent que la joueuse chinoise ne soit pas libre de ses faits et gestes.

Un enjeu géopolitique pour la Chine
Le président de la WTA, Steve Simon, a rapidement pris position sur ce sujet en condamnant rapidement les actes de la Chine sur ce dossier. Il a dès le début menacé la Chine de ne plus faire disputer de tournoi sur le sol chinois s'il n’avait pas de preuve concrète que Peng Shuai était d’abord vivante puis libre. Il n’a pas pu échanger librement avec la joueuse tandis qu’une visioconférence a été organisé entre la joueuse, des représentants chinois et Thomas Bach, président du comité international olympique (CIO)
Steve Simon n’a pas enlevé sa menace contre la chine affirmant qu’il n’avait pas de preuves réelles que Peng Shuai était libre. Libre de s’exprimer sur sa plainte déposée, ou encore libre de circuler.
La chine a préféré « éteindre l’incendie » par l’intermédiaire du CIO plutôt que de la WTA. Ceci dû au fait que Pékin doit accueillir les Jeux olympiques très prochainement. La cérémonie d’ouverture ayant lieu le 4 février 2022. Avec le retentissement médiatique de cette affaire et les différents appels au boycott diplomatique, la Chine devait absolument apporter une réponse, bien qu’objectivement peu satisfaisante, au CIO en priorité. Et c’est finalement le CIO qui lui aussi et désormais sous le feu des critiques. Selon Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS « Le CIO joue le jeu de pékin et se met dans une situation explosive ». Un spécialiste des questions Chinoises Yaqiu Wang affirme même que « Le CIO joue un rôle actif dans la machine de disparition forcée, de coercition et de propagande et du gouvernement chinois ».
Le CIO s’est donc mise dans une situation médiatique très compliquée en cautionnant en quelques sorte les actes de la Chine, en ne s’assurant pas que Peng Shuai soit bien libre
Ce n’est pas la première fois que la Chine a recours à ce type de dispositif. A la moindre critique ou remise en cause du gouvernement chinois, certaines personnes influentes en chines sont censurées, portées disparues pendant quelques mois puis remises en lumière 2 à 3 mois après en faisant l’éloge du gouvernement chinois. Ce fut le cas avec Jack Ma, PDG d’Alibaba, entreprise mastodonte en Chine ou encore l’actrice Zhao Wei.
Ici sous la pression médiatique et l’engagement de la communauté tennis et même sportive, Peng Shuai est réapparue 3 semaines après sa disparition.

Un boycott de la Chine par la WTA ?
Steve Simon, qui comme beaucoup de personnes à travers le monde ne croit pas en la totale liberté de Peng Shuai, peut-il vraiment boycotter le tennis féminin en Chine ?
Cela semble extrêmement compliqué au vu du poids économique de la Chine sur la WTA.
En difficulté économique par la perte de sponsors comme Sonny Ericsson en 2012, la WTA a alors pu compter sur la Chine pour remplir ses caisses. La Chine a au fil des années accueilli de plus en plus de tournois de WTA avec des prize money défiant toute concurrence. Les organisateurs chinois peuvent compter sur des sponsors qui financent près de 80% du budget des tournois. Au contraire en Europe, les recettes plus homogènes entre billetterie, droits TV et sponsors ne permettent pas de s’aligner sur les prize money des tournois Chinois. « A une époque où la WTA manquait d’argent mais aussi de partenaires pour monter des tournois, la Chine était le seul pays capable de répondre à ses besoins » selon Marion Bartoli.
Lors de la saison 2019, avant covid, la Chine accueillait 10 tournois WTA contre 2 dans les années 2010, pour un prize money total de près de 30 M de dollars en 2019. Surtout, la ville de Shenzen, a signé un contrat de 10 ans en 2018 pour accueillir le masters féminin de fin de saison avec un prize money record de 14 millions de dollars, supérieurs aux ATP finals.
Délocalisé à Guadalajara cette année en raison de la pandémie, le prize money s’est élevé à 5 millions de dollars, soit presque trois fois le moins que le montant versé par le tournoi de Shenzen.

Crédit Photo : WTA
L’ATP comme principal soutien et espoir pour la WTA
La chine a donc été le seul pays capable de répondre aux difficultés financières de la WTA, et il apparait maintenant difficile de s’en détacher.
L’espoir concerne les récents rapprochements entre ATP et WTA. L’ATP est pour le moment très peu dépendant de la Chine. Seulement un Masters 1000 (Shangaï), un ATP 500 (Pékin) et deux ATP 250 (Zhuhai et Chengdu) ont lieu dans l’empire du milieu.
En effet le président de l’ATP Andrea Gaudenzi aurait pour projet de mutualiser les masters 1000 féminins et masculins ainsi que l’ensemble des partenaires majeurs. De plus l’ATP soutient pour l’instant la WTA dans ses menaces contre la Chine. Selon Marion Bartoli, « une telle refonte prendra plusieurs années. Mais si les discussions se poursuivent, la WTA pourra alors envisager sereinement un avenir sans la Chine ».
De quoi être quelque peu optimiste pour l’avenir de la WTA. Mais en l’état, il est peu probable que la WTA se passe de la manne financière chinoise.
Un autre exemple du lien entre sport et géopolitique ici