Depuis cet été, Becky Lynch ne cesse d'impressionner et est considérée comme la superstar la plus populaire de la WWE, tous genres confondus. Alors que l'actuelle championne féminine de Smackdown devait affronter son homologue de RAW, Ronda Rousey, ce dimanche à l'occasion des Survivor Series, l'Irlandaise a dû déclarer forfait suite à une vilaine blessure survenue lundi dernier. Mais paradoxalement, cela pourrait néanmoins lui servir, et l'amener sur le toit du monde à WrestleMania 35. Retour sur le phénomène Lynch…
En l’espace de quelques jours, Becky Lynch aura vécu un ascenseur émotionnel assez brutal. Après une brillante défense de titre contre Charlotte Flair le 28 octobre dernier dans un Last Woman Standing Match qui restera dans l’histoire de l’ascension du catch féminin à la WWE, l’Irish Lass Kicker se retrouve aujourd’hui écartée des rings après un violent coup de poing asséné par Nia Jax lui causant une fracture du nez et une commotion cérébrale.
WWE RAW – 12 novembre 2018
Un énorme coup dur pour l’Irlandaise, prévue pour combattre Ronda Rousey ce dimanche lors des traditionnels Survivor Series voyant RAW et Smackdown, les deux divisions, s’affronter. Mais comment cette affiche a-t-elle pu réussir à devenir en quelques semaines seulement l’affrontement le plus attendu de l’année pour les fans ? D’un côté, Ronda Rousey continue sa spectaculaire progression sur le ring de la WWE. Avec ses poings ou au micro, l’ancienne combattante UFC poursuit son adaptation et apparaît comme une belle surprise pour les fans de catch. Et ces derniers n’ont pas pour autant lâché Becky Lynch, véritable coqueluche du public depuis l’éclosion de la Women's Evolution grâce à sa personnalité et à son remarquable parcours.
The Man : entre Daniel Bryan l’outsider
D'ailleurs, il se pourrait bien que sa cote de popularité la propulse au sommet de la WWE dans les prochains mois. Elle a totalement su éclipser Charlotte Flair qui devait pourtant jouer le bon rôle à l’écran durant leur rivalité et a littéralement humilié Edge lors du 1000e épisode de Smackdown en le rabaissant publiquement à cause de sa grave blessure à la nuque contractée il y a quelques années. Tout un symbole quand on connaît le rôle de la Rated R Superstar par le passé. Et depuis le début du mois, c’est carrément à Ronda Rousey que la championne de Smackdown fait de l'ombre.
Comment la plus célèbre rousse de la WWE a-t-elle pu réussir cette folle ascension ? À l’image de CM Punk ou de Daniel Bryan par le passé, l’aspect méritocratique ne peut être nié. Alors que Sasha Banks et Charlotte Flair étaient à l’origine d’une rivalité aux aires féministes, Ronda Rousey est quant à elle parvenue à casser les barrières de genre depuis son arrivée au début de l’année 2018 grâce à son passé, de quoi placer l’Irlandaise de 31 ans sur le côté malgré la sympathie du public à son égard. Une frustration utilisée pour son heel turn face à Charlotte à SummerSlam qui a fait pschitt puisque la foule s’est immédiatement rangée du côté de Becky Lynch qui a bénéficié de la plus grande ovation de la soirée, dépassant même le sacre de Roman Reigns, le retour du maléfique Finn Balor et l’affrontement tant attendu entre Daniel Bryan et le Miz. Le public de Brooklyn a exalté et crié sa joie lorsque Lynch, défaite par Flair, décida de ne plus se ranger derrière une gentillesse aux allures de niaiserie et de saisir sa propre opportunité pour devenir le visage de la division féminine. Elle avait travaillé d’arrache-pied pour décrocher le titre mais se faisait dépasser par Charlotte, tout juste de retour après plusieurs semaines d’absence et ajoutée dans le match à la dernière minute, provoquant donc une colère incontrôlable.
L’ultime preuve, s’il le fallait encore, pour montrer que l’aspect symbolique du catch comprenant le héros et le lâche ne suffit plus à satisfaire la foule, avide d’un univers plus subversif où vantardise et brutalisation sont attendus. La WWE ne peut plus prendre la décision pour le spectateur, et l’héroïsation n’est plus imaginaire, mais réelle. Ainsi, le public a un vrai rôle d’acteur dans le catch, et cela se remarque ici. Becky Lynch qui tourne le dos à sa meilleure amie, et symboliquement à la foule, obtint pourtant en ce soir d'août la plus grosse acclamation de la soirée, voire de l’année. L’underdog de la WWE est cette fois-ci une femme, et elle se nomme Becky Lynch. Une personne que les fans soutiennent, quel que soit les actes et ce jusqu’au triomphe ultime, en grande partie grâce à son histoire, qu’elle rappela au public et à Ronda Rousey il y a quelques semaines.
« Ma mère ne m'entraînait pas à être la meilleure du monde. Je devais me battre contre ma mère pour être la meilleure du monde, car elle ne voulait pas de moi dans ce sport. (…) Et puis je devais parcourir le monde, je devais quitter la maison pour être la meilleure du monde, car ma mère ne m'aidait pas. Elle ne m'entraînait pas pour être la meilleure. Et d'accord, oui, je me suis éloignée de la lutte pendant quelques années et j'ai fait tout ce que je pensais que ma mère voulait que je fasse, ou ce que cette société voulait que je fasse, mais j'ai économisé chaque centime que j'ai gagné pour pouvoir revenir et faire exactement ce que je fais maintenant, ce qui change la donne. (…) Ronda Rousey, ton nom t’a conduit au main-event d’Evolution, mais mes compétences m’ont conduit au Match de l’Année à Evolution. »
Ces histoires et tranches de vie touchent le public. Comme l’expliquait Alain Ehrenberg, elles participent à l’héroïsation du champion, et l'on peut rajouter qu’elles surpassent même tout le mode de fonctionnement du catch. « Pour que le champion devienne le stéréotype du héros populaire, il a donc fallu que son image cristallise une histoire que chacun peut se raconter et un mode d’action auquel n’importe qui peut se référer : l’épopée idéale de l’homme ordinaire et anonyme qui, n’ayant aucun privilège de naissance, s’arrache au destin collectif de la masse indifférenciée de ses semblables pour se construire une histoire par lui-même. Sa supériorité est accessible à tous. » écrivait le sociologue français en 1991.
… et Conor McGregor l’impertinent
L’homme, « The Man », le surnom qu'elle s'est octroyée pour symboliser sa dominance dans la fédération. Une appellation qui rappelle l’accroche du mythique Ric Flair « To be the Man, you gotta beat The Man » et qui pourrait marquer une nouvelle étape plus forte de la Women’s Revolution de la WWE, mais pas pour la principale intéressée. « Je suis au sommet, rien à faire du genre. The Man n’a rien à voir avec le genre. C’est un état d’esprit. Il s’agit d’être au sommet » explique-t-elle dans une interview accordée à Pink News. « C’est comme être dans le vestiaire, le vestiaire des mecs, et lancer “Desolée, aucun d’entre vous n’est à la hauteur. Je suis The Man maintenant. Je prends les commandes du vaisseau maintenant.” Je suis la plus victorieuse des Superstars, à RAW ou à SmackDown en 2018. J’ai gagné le plus de matchs. Par conséquent, je ne suis pas seulement The Man dans le vestiaire des femmes, mais aussi celui des hommes ». Une sortie qui est pourtant révélatrice du dépassement du genre dans ce gimmick, et que l’on a pu remarquer lors de passe d’armes avec Seth Rollins sur Twitter.
Pour la première fois depuis le départ de Chyna, seule lutteuse à avoir détenu le titre Intercontinental, la domination et la masculinité étaient remises en question par une femme. « Tu peux être un homme, mais je suis indéniablement “the man” – T’affronter ? Pas de problème, je peux réserver cinq minutes pour débarquer et t'affronter. Donne-moi un lieu. Et prends avec toi tes petites culottes adorables avec les petites flammes pour que Le Champion puisse te montrer comment réellement mettre le feu. #IAmTheMan » dit celle qui aime se présenter à la troisième personne, à l’image d’un certain Conor McGregor.
Son vocabulaire désobligeant et son impertinence, ajoutés à son accent irlandais, ont rapidement amené les premières comparaisons avec son compatriote de l’UFC, une ressemblance qu’assume d’ailleurs l’intéressée lorsque Sky Sports l’interroge. « Je pense que c’est parce que nous sommes tous les deux irlandais et qu’on provoque beaucoup. Il y a peut-être quelque chose à propos des Irlandais, on a la langue bien pendue. Il est une star et c’est le visage du combat. Je suis le visage de la WWE, que quiconque veuille l’admettre ou non, je suis le visage de la WWE. Je suis celle dont on parle le plus dans mon domaine et il est celui dont on parle le plus dans son domaine, donc je suppose que c’est une bonne comparaison. »
On peut dire que la boucle est bouclée lorsque l’on regarde Conor McGregor, lui-même héritier du catch et de Ric Flair. Mais les comparaisons ne s’arrêtent pas là puisque certains voient en elle un Stone Cold Steve Austin des temps modernes, lui qui a si souvent alterné les rôles à l’écran, entre héros et lâche. Cette bipolarité du catcheur s’appelle « tweener » dans l'industrie, et cela permet un total relâchement au micro et une grande liberté d’expression dont on a déjà eu l’exemple avec la jeune femme depuis cet été. Si elle arrive à devenir une héroïne pour le public, Becky Lynch est néanmoins l’antihéros aux yeux de la direction de la WWE, un rôle totalement similaire à celui de Stone Cold, à la lutte avec Shawn Michaels, Bret Hart ou le Rock, symboles absolus de l’Attitude Era.
Mais si Stone Cold est également devenu symbolique aux yeux des historiques du catch, c’est aussi grâce à sa carrière si singulière et à ses marques de courage. Historiquement, les blessures ont régulièrement été déterminantes dans certaines carrières. Michael Messner, sociologue américain, explique notamment que la prise de risques et les blessures sont des thèmes constants dans les commentaires de sports, et de catch. Les blessures sont perçues comme des actes héroïques, permettant d’accroître la virilité d’un homme, dans ces exemples, lorsqu’ils sont capables de se transcender dans les pires moments. En 2001, Triple H se blesse en plein combat et souffre d’une rupture du quadriceps, mais termine tout de même le combat. Quelques années avant, Steve Austin remporte le titre intercontinental et sort du ring, debout, malgré une terrible fracture du cou infligée maladroitement par Owen Hart lors de SummerSlam 1997. Un épisode qui marqua la carrière du Hall of Famer et qui resta dans les mémoires.
Ce lundi à RAW, comme rappelé au début de cet article, c’est donc Becky Lynch la victime qui n’a pas flanché et qui a réussi à finir avec brio l’angle marquant l’invasion de Smackdown dans la division rouge même si la blessure était moins importante. Le primordial dans ce cas, c'est l'impact que cela a eu et l'image envoyée. Visage ensanglanté, elle trouve même la peine de s’attaquer une ultime fois à Ronda Rousey sans laisser transparaître une once de douleur. Depuis, l’image de Becky Lynch jubilant a inondé les réseaux sociaux et a placé la lutteuse sur un piédestal, comme si elle en avait encore besoin. Malheureusement pour elle, Becky Lynch n’affrontera pas Ronda Rousey aux Survivor Series ce dimanche 18 novembre, mais cela ne sera que partie remise.
La route vers le succès est-elle lancée ?
Il est indéniable que la WWE souhaite mettre en place la rencontre tant attendue dans les prochains mois, les deux femmes se sont d’ailleurs donné rendez-vous sur les réseaux sociaux. La principale interrogation réside aujourd’hui sur la date et le lieu du choc. D’après le Wrestling Observer, c’est à WrestleMania 35, lieu sacré du catch, que pourrait se dérouler la confrontation. Une place de choix leur serait réservée puisque le main-event est évoqué.
Cela fait d’ailleurs quelques mois que le haut de l’affiche du plus grand événement de l’année est suggéré afin de laisser place aux femmes pour une première historique. Initialement, c’est le combat entre Rousey et Flair qui a longtemps tenu la corde, annoncé comme le réel dream match de la division féminine. La blessure de Lynch change toutefois tous les plans puisque cela aura lieu ce dimanche, retirant incontestablement un certain charme à la nouveauté qui nous attendait en avril prochain.
Mais cette situation inattendue est finalement une aubaine pour la WWE et Becky Lynch. Aucune autre affiche, masculine comme féminine, ne suscitera autant d’intérêt que ce choc avorté auquel nous assistons aujourd’hui. L’absence malheureuse de Roman Reigns, l’omniprésence de l’Untertaker et la récente blessure de Triple H offrent la possibilité de proposer le premier main-event féminin de l’histoire de WrestleMania. Et la rivalité installée en seulement quelques semaines entre Ronda Rousey, l’élue de la fédération et véritable superstar des sports de combat, et Becky Lynch, l’un des vrais visages de la Révolution et la favorite des spectateurs, permet de marquer l’histoire. Imaginons les cinq prochains mois d’une grande opposition entre elles, se fabriquant au travers du Royal Rumble et de l’Elimination Chamber.
Becky Lynch a l’occasion de suivre encore un peu plus les pas de Daniel Bryan et de faire son chemin jusqu’au main-event de WrestleMania. Ce qui serait finalement logique au vu d’une lutteuse qui a déjà conquit la foule.
A lire : Catch au féminin – De la régression à l'évolution : 1ère partie – 2ème partie – 3ème partie
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