Le Royal Rumble est le lieu de toutes les surprises, et le show de dimanche n’a pas dérogé à la règle. En entrant à la 30e place du match éponyme masculin, Nia Jax a stupéfié les fans de la WWE, mais également une partie du grand public, qui a rapidement été divisé sur le sujet. Les débats se font nombreux autour du catch inter-genre, qui va pourtant dans le sens de la Women's Evolution promise par la compagnie en 2015.
Aucune surprise n’était attendue pour cette 30e position du Royal Rumble, et pourtant. Alors que R-Truth était garanti d’être l’ultime participant du combat mythique de la WWE ce dimanche suite à sa victoire au Mixed Match Challenge, le lutteur s’est fait voler sa place par Nia Jax après avoir été démoli par cette dernière. L’Irresistible Force est la quatrième femme à participer au Rumble après Chyna, Beth Pheonix et Kharma. Après s’en être pris à Dolph Ziggler, Andrade, puis Rey Mysterio, Nia Jax a éliminé Mustapha Ali. Une entrée fracassante qui a tout de même eu quelques accrocs au moment où les hommes se sont alliés pour s’en prendre à cette participante inattendue. Si elle a réussi à esquiver un premier RKO, un Superkick de Ziggler, un 619 de Rey Mysterio puis la prise phare de Randy Orton auront eu raison de l’ancienne championne de RAW, pour le plus grand plaisir de la foule de Phoenix.
Au final, Jax est restée près de 3 minutes 10 sur le ring, ce qui est bien plus par exemple que la participation de Bobby Lashley, actuel champion intercontinental. Un fait historique puisqu’il faut remonter à 2012, et la participation de Beth Phoenix au Royal Rumble, pour voir un homme s’en prendre délibérément et sérieusement à une femme. À l’époque, The Glamazon s’était vu infliger un GTS de la part de CM Punk. Depuis, compte tenu de sa classification PG à la télévision et de certains partenariats (comme Mattel, qui refuserait de voir un homme prendre le dessus sur une femme), la fédération de Vince McMahon fait profil bas. 7 ans après, qu’a donc fait changer d’avis la WWE ? D’après le Wrestling Observer, c’est la frustration des fans de ne pas avoir vu d’affrontements directs inter-genres entre les deux sexes opposés lors du Mixed Match Challenge qui aurait poussé la compagnie à proposer ce lot de consolation. Mais comme attendu, cela a fait jaser sur la toile.
« Ça dépasse les bornes et c’était une très mauvaise idée »
Une fois la surprise passée, c’est le mécontentement qui est ressorti chez certaines personnes. La lutte entre les sexes est un sujet sensible à aborder, où les mots “misogynie” et “sexisme” sont rapidement cités, et ça n’a pas manqué ici. L’un des coups de gueule les plus partagés fut celui de Lou DiBella, promoteur américain de boxe, qui a taclé les choix de la WWE dans une série de tweets depuis supprimés. « Hey la WWE, ok vous êtes un “divertissement sportif”, mais avec les enfants qui regardent et une violence domestique trop présente, faire entrer une femme dans un Royal Rumble masculin et se faire frapper par des hommes est un mauvais message, ça dépasse les bornes et c’était une très mauvaise idée », a-t-il notamment écrit, tout en précisant n’avoir aucune animosité envers le catch, étant lui-même un fan de la première heure. Ce commentaire peut amener à la réflexion. L’image diffusée sur le ring peut-elle entraîner un passage à l’acte dans la vie réelle si l’on pousse l’interrogation un peu plus loin ? Un débat qui rappelle alors celui amené sur la place publique concernant le lien entre les jeux vidéo et la violence. Sauf que de nombreuses études ont été réalisées à ce sujet, et la plupart sont sans appel : il n’existe aucune corrélation entre ces jeux violents et la brutalité dans la société. Un raccourci trop rapidement effectué. Le catch partage néanmoins une caractéristique bien précise avec les jeux sur consoles, celui de l’exutoire.
Mais on pointe du doigt un autre problème plus global dans ce cas puisque d'innombrables critiques proviennent de la part d’hommes certifiant savoir ce qui est mieux pour la femme, une certaine vision du patriarcat repoussant alors l’émancipation du sexe féminin. On remarque également qu’une partie des gens scandalisés sont des néophytes du catch, voulant créer une polémique qui n’a pas lieu d’être, et ignorant ce qui peut se faire sur la scène indépendante depuis plusieurs années.
En fait, le catch inter-genre existe déjà à la WWE depuis quelque temps, mais ne marche que dans un sens. On peut toutefois saluer l’initiative, car il permet aux femmes de s’en prendre aux hommes, et ainsi d'assister à un rapport de force totalement inversé. Les femmes réussissent alors à sortir de cette image de bimbo construite durant les années 1990 et à se créer une légitimité sur le ring aux yeux du public masculin. L’arrivée de Ronda Rousey, et son match à WrestleMania, a été l’occasion de voir une protagoniste féminine dominer à plate couture un homme, ici Triple H, et remettre en cause la masculinité hégémonique sans pour autant choquer la foule, au contraire.
WrestleMania 34 – 8 avril 2018 (TDE Wrestling / WWE)
Depuis l’été dernier, Becky Lynch est l’autre athlète qui bouscule les codes. Avec son surnom significatif, The Man, l’Irlandaise impressionne en repoussant les limites. Là aussi, la domination et la masculinité sont remises en question par une femme. « Tu peux être un homme, mais je suis indéniablement “the man” – T’affronter ? Pas de problème, je peux réserver cinq minutes pour débarquer et t’affronter. Donne-moi un lieu. Et prends avec toi tes petites culottes adorables avec les petites flammes pour que Le Champion puisse te montrer comment réellement mettre le feu », avait-elle lâché à Seth Rollins à la fin de l’année 2018. Lors du premier Smackdown de 2019, Lynch s’en prenait carrément à John Cena, que la WWE aime appeler « plus grande superstar de l’histoire ». Et en marge du PPV ce week-end, Becky Lynch et The Rock ont évoqué un match qui fait déjà saliver les aficionados. Bizarrement, cette vision de l’inter-genre n’a scandalisé personne.
Il est trop réducteur d'imaginer le regard masculin face à cette scène jugée polémique du Royal Rumble qui pourrait inciter à passer à l'acte. Le but ici est totalement contraire. Il convient plutôt de montrer qu'il est possible de casser les barrières de genre et s'immiscer dans le monde si masculinisé de la WWE, d’affirmer que l'on peut utiliser son corps pour réaliser des actes forts. L’Attitude Era et le début de l’ère des Divas étaient le symbole d’une victimisation et d’un rabaissement de la femme par la violence physique et verbale, sans que cette dernière ne soit consentante. Dimanche, la WWE a souhaité mettre en avant l’une de ses lutteuses prêtes à prendre des risques et à découdre avec quelques-unes des plus grandes superstars de la compagnie. Si les coups encaissés par la Samoane ont fait jaser certains individus, ils restaient essentiels pour équilibrer le rapport de force et éviter de proposer un moment insipide, et ceux qu’elle a donnés ne sont pas à minorer.
Il serait même juste de placer l’angle entourant Nia Jax au-dessus des prouesses exécutées par Chyna même si celles-ci furent historiques en leur temps. Si l’ancienne championne intercontinentale a réussi à tenir tête aussi longtemps aux hommes il y a deux décennies, c’est parce que la WWE la considérait comme telle à l’écran. Sa féminité était remise en cause, comme pour expliquer les défaites masculines. Chris Jericho n’avait d’ailleurs pas hésité à lui dire « Tu n’es pas une femme. Tu es grotesque et une bizarrerie de la nature » en 1999. Les temps ont bien changé.
« Je ne regrette rien »
Les lutteuses de la WWE se battent maintenant depuis près de 4 ans pour trouver leur place et être sur un pied d’égalité avec le sexe masculin, avec des enjeux similaires. Après s’être attiré les foudres de nombreux téléspectateurs pour avoir fait un pas en arrière en utilisant un érotisme édulcoré avec Alexa Bliss et Mandy Rose, le mastodonte du catch mondial se retrouve aujourd’hui critiqué pour avoir fait un pas en avant vers le progrès. Un pas de plus salué par les talents féminins de la compagnie depuis dimanche. Paige, actuellement à l’écart en raison d’une grave blessure, n’a pas hésité à se prosterner devant ce moment qui restera peut-être dans l’histoire. « C'est la meilleure chose que j'ai vue depuis un moment. Je suis si fier de toi ! », a-t-on pu lire sur Twitter.
De son côté, la principale intéressée continue d’exulter après son exploit. Il ne faut pas minimiser le fait que Nia Jax est l’unique superstar de la WWE à avoir participé à deux Royal Rumble dans la même soirée comme elle le rappelle si bien. « Je ne regrette rien. Première personne à entrer dans deux Royal Rumble matches en une nuit. Première personne à éliminer des gens dans un Rumble féminin et masculin. Et la Reine qui vous met tous en colère ». Outre l’aspect sportif, la lutteuse de 34 ans affiche avec fierté sur Twitter les messages de fans saluant ce moment singulier. « “Donnez à la femme une chance de le faire, parce qu'elle peut l’éliminer. Il est très important pour toutes les femmes et toutes les jeunes filles de connaître leur pouvoir et de connaître leur force” – Nia Jax je suis si fière. »
https://twitter.com/suh_ellenb/status/1090282630128508929
Un dernier aspect à ne pas négliger, tout cela reste du catch. Un art où deux personnes consentantes organisent et préparent une performance scénarisée bien éloignée de toute violence domestique. Ce divertissement sportif autorise tout, le pire comme le meilleur, dont l’humiliation qui fait partie de ses codes si elle est maîtrisée. Nia Jax jouant le rôle de vilaine après avoir blessé la grande superstar du moment Becky Lynch, il est logique de voir le WWE Universe s'enflammer lors de son passage à tabac, comme il l’a fait quand The Man s’en est pris à elle plus tôt dans la soirée. Ce n’est pas le genre qu’il faut voir ici, mais le personnage, peut-être trop subtil pour certains. En fin de compte, il est plus sexiste de s’indigner sur le catch inter-genre que de ne pas le faire, car les détracteurs s’opposent paradoxalement à l’idée d’égalité que prône désormais la WWE. En attendant, la cousine du Rock va très bien et s’est cette fois-ci occupée de Dean Ambrose à RAW lundi dernier en l’éjectant du ring, sans que celui-ci ne réponde. Nia Jax n’est pas une victime, il est bon de le rappeler.
A lire : Catch au féminin – De la régression à l’évolution : 1ère partie – 2ème partie – 3ème partie
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