On l’a tous déjà entendu, on l’a même parfois éprouvé. C’est une phrase qui résonne aussi familièrement qu’un refrain de Foule Sentimentale, « La France n’est pas un pays de sport ».

Et le fait est que le sport, sa pratique, son commentaire ou son analyse suscitent encore aujourd’hui dans notre pays des monceaux de scepticisme, à tout le moins. Opium du peuple, distraction inutile, terreau de violences, on en passe : les occasions ne manquent pas aux arbitres des élégances pour afficher leur mépris de la chose sportive. Nous vivons dans un drôle de pays qui considère, par exemple, que le professeur d’EPS n’est pas autant professeur que celui de mathématiques.

Marine Lorphelin est un immonde tas de boue verte

Les raisons de ce mépris ou de cette méfiance sont nombreuses, et le sujet n’est pas de les questionner, ni d’en faire une liste exhaustive. Mais, si l’on voulait en recenser les principales, il faudrait bien sûr parler de cette partie de la philosophie qui considère que le corps et l’âme sont des entités différentes et indépendantes, qu’il n’y a rien de bon à se fier à ce que le corps transmet comme image sensible du monde, et qu’il faut d’avantage s’en remettre au royaume des idées, pures et infaillibles. Les idées ne sont ainsi pas les produits d’un corps vivant, donc en voie de dégradation, donc faillible, mais des bulles qui flotteraient autour de nous, sans rapport avec les cerveaux capables de les penser, immuables.

Exemple : vous êtes assis dans un train, vous avez en face de vous une jolie jeune femme (ou un joli jeune homme), 25-30 ans, brune (brun), les yeux verts, elle (il) ressemblerait presque trait pour trait à Marine Lorphelin (Harry Styles), n’était cette petite fossette au menton. Vous la (le) concevez, vous l’imaginez, grâce à vos sens, à votre vécu et donc à vos goûts. Cette philosophie vous dirait : qu’est-ce qui vous prouve que vos sens ne vous trahissent pas, et qu’à la place de Marine Styles vous n’avez pas en face de vous un immonde tas de boue verte et gluante ? Au fond, les sens trahissent bien les daltoniens, les sourds, les psychotiques, pourquoi pas vous, pourquoi pas de cette façon-là ?

Les pauvres au front

Cette école de pensée presque aussi vieille que l’histoire des idées a fait des petits, et c’est rien de le dire. Le christianisme n’est pas autre chose, et sa manie de s’en remettre à l’au-delà, de mépriser ce qui est matériel et de sanctifier le sacrifice ne procède pas d’autre chose. La France, bien sûr, est empreinte de cette tradition chrétienne et plus encore de cette tradition philosophique et il n’y a que regarder de plus près l’organisation du travail avant la Révolution de 1789 pour s’en convaincre : aux pauvres le travail, aux riches l’oisiveté ; les riches prennent la sueur au front des pauvres qui prennent la place des riches en temps de guerre, au front également. Toute ressemblance avec la période actuelle serait purement fortuite.

Bien sûr, le renouveau des Jeux Olympiques est le fait de quelques nobles français qu’on ne peut décemment pas soupçonner d’extravagance politique ou religieuse. Mais ce qu’on pourrait rapidement mettre sur le compte d’une passion pour le sport serait bien plus à rapprocher d’un retour à l’antique, bien plus chic. Comment un homme passionné par le sport pourrait décemment dire « L’important est de participer ».

La passion du beau

Car voici la vraie passion française, le beau. Ce qui compte n’est pas de vendre, de rendre pratique ou de gagner, ce qui compte c’est que le geste soit beau, que l’esthète gagne, que le laid soit vaincu. L’essence du sport n’est pourtant pas là. Le sport est un combat, le sport est une catharsis qui doit accoucher d’un vainqueur et d’un vaincu. Les plus grands penseurs du football, par exemple, ne disent pas autre chose. Brian Clough, Johann Cruyff, Zdenek Zeeman, Pep Guardiola, Marcelo Bielsa, Jean-Claude Suaudeau, autant de noms qui ont aimé le ballon, qui l’ont magnifié mais certainement pas pour la beauté du geste. Pour gagner. Parce qu’un match de football ça se gagne, en jouant bien certes, mais parce que ça doit aussi permettre de gagner. Pour cela, il faudrait penser le jeu, penser le sport. Ce n'est pas là le moindre des manques de la France qui accouche de très bons techniciens, mais qui peine à trouver des tacticiens de la trempe de ceux qu'on a cité, pour ne parler que du football.

Plus paradoxal encore, cette rengaine sert aussi d'excuse toute faite à certains sportifs quand le résultat ne suit plus, ou quand le désamour des Français les meurtrit. On ne l'a pas encore entendu dans la bouche des athlètes français ou des responsables techniques de la Fédération d' Athlétisme, mais nul doute que si la moisson de médailles continue à se faire si chiche à Doha qu'on ne manquera pas de nous la sortir.