La vie n’est pas un long fleuve tranquille, cette citation pourrait assez bien convenir aux pilotes de MotoGP. La carrière de ces chevaliers des temps modernes est en effet généralement faite de hauts et de bas. Seuls une poignée d’élus accèderont au sommet par la « voie royale » grâce à leur talent mais aussi et surtout aux décisions qu’ils auront prises tout au long de leur vie professionnelle, le tout agrémenté d’un zeste de chance.
Une carrière déjà exceptionnelle
Le Français Johann ZARCO ne déroge pas à la règle. Après avoir remporté la Red Bull MotoGP Rookie Cup en 2007, il passe 3 ans en catégorie 125 où il terminera sa dernière année vice-champion du monde. Toujours sur les conseils de Laurent FELLON, son ami et manager, il intègrera ensuite la catégorie supérieure où il évoluera à force de travail et finira comme premier pilote de l’histoire du Moto2 avec 2 titres consécutifs de champion du monde. A 26 ans, un âge plutôt avancé pour accéder à la catégorie, il rejoint enfin le MotoGP dans l’équipe Tech3. Fort de toutes ses années d’expérience et doué d’une intelligence de course peu commune, il réussit l’exploit de s’octroyer les titres de rookie de l’année et de meilleur pilote d’un team indépendant.
Même si la carrière du champion Cannois en satisferait plus d’un, elle a pris certains détours qui ne laisse plus guère le droit à l’erreur au pilote Yamaha. En effet, malgré la très belle et longue vie au sein de la catégorie reine, de la légende vivante Valentino ROSSI, et ses dernières déclarations qui tendent à faire croire que n’importe quel pilote pourrait dépasser les 40 ans en restant compétitif, ils ne sont pas légion dans l’histoire du MotoGP, c’est le moins qu’on puisse dire. Reste qu’avec ses très beaux résultats de 2017, toutes les portes (ou presque) sont ouvertes à notre unique représentant national et qu’il faut faire le bon choix.
Préférant déléguer comme toujours cette tâche à Laurent FELLON, Johann, interrogé par nos confrères de Paddock-GP.com, sur les propositions reçues de la part de certaines équipes, lors de la conférence de presse de présentation du Grand Prix de France, déclarait d’ailleurs : « Laurent FELLON m’isole de ça et je lui fais confiance. Je ne me suis pas concentré dessus donc ça n’a pas du tout joué dans la pression que j’ai ressentie. ». Mais voilà, à l’aube d’une saison où les décisions ne se sont jamais prisent aussi tôt, le Français ne pourra cependant pas prendre plus de 2 ou 3 GP pour faire son choix.
Il ne devra en rester qu’un
Bien que les options soient nombreuses, elles ne concernent toutefois pas que le « rookie of the year » 2017, d’autres pilotes talentueux pourraient se mêler à la danse puisque Jorge LORENZO, Dani PEDROSA, Andrea IANNONE, Danilo PETRUCCI, entre autres, n’ont pas de guidon pour 2019 à l’heure où nous écrivons ces lignes. Si KTM a ouvert le bal en étant le 1er à avouer son intérêt pour le double champion du monde Moto2, la signature de Valentino ROSSI au sein de l’équipe officielle Yamaha a été directement suivi d’une déclaration du patron Lin JARVIS qui évoquait la possibilité d’une 3ème moto officielle pour Johann. Ducati a, quant à elle, rapidement fermé la porte prétextant vouloir conserver ses 2 pilotes, alors que des rumeurs persistantes dans le paddock faisaient état de discutions avec Suzuki, qui avait privilégié l’arrivée d’Alex RINS au dépend du pilote Français en 2017, et Honda qui aurait bien vu le tricolore coéquipier de Marc MARQUEZ en 2019 et 2020. Sur cette dernière rumeur, le site Speedweek.com avait interrogé Laurent FELLON au GP du QATAR qui s’était contenté d’hausser les épaules en esquissant un grand sourire avec un doigt sur la bouche. Qualifié comme une « Dream Team » par le Français lui-même, est-elle pour autant le bon choix pour celui qui n’a pu d’autres options que de réussir immédiatement s’il veut accomplir son rêve (et le nôtre), être champion du monde MotoGP. C’est une question à laquelle David EMMETT, célèbre journaliste de MotoMatters.com, qui écrit pour le compte de OnTrackOffRoad.com, tente de répondre dans un article que nous vous retranscrivons ci-dessous :
Les animaux de l’Arctique
« Si vous me permettez une analogie torturée quelques instants, les pilotes de moto Grand Prix sont un peu comme les animaux de l'Arctique. De temps en temps, lorsque les conditions se détériorent, ils se lèvent et migrent vers de nouveaux pâturages, à la recherche d'un environnement fertile. Ils se lassent de leurs équipes, croyant que leurs coéquipiers reçoivent un traitement privilégié. Ils deviennent insatisfaits de leurs salaires, pensant qu'ils ne sont pas payés ce qu'ils méritent. Ou ils s'impatientent par manque de résultats, blâmant les départements de course prenant la mauvaise direction pour le développement et qui seraient responsables de leur échec.
Cependant, il y a une différence majeure entre un pilote de moto de Grand Prix et un grand animal du froid. Un caribou sait que c'est un caribou et ne va que là où son instinct lui dit qu'il va prospérer. Les pilotes du MotoGP ne savent pas s'ils sont des caribous ou des lemmings, s'ils veulent grossir sur de riches pâturages ou se lancer d'une falaise à leur perte.
La Ducati est la plus célèbre pour faire des lemmings des pilotes. Valentino ROSSI est passé de caribou chez Yamaha à lemming chez Ducati, perdant deux ans de sa carrière dans l’affaire. Bien que tous les yeux soient toujours sur Jorge LORENZO, ses résultats, jusqu'ici, ont été horriblement incohérents: il a obtenu une poignée de podiums, et a été le plus rapide au test de Sepang, mais au test de Buriram il n'était pas là. Pendant ce temps, son coéquipier Andrea DOVIZIOSO est rapide presque partout, remportant la manche d’ouverture de la saison au Qatar dimanche.
Mais Honda n'est pas étranger aux lemmings, bien qu'ils soient plus courants sur des motos satellites plutôt que dans les équipes d'usine. Le danger de la RC213V est tout à fait évident quand on voit la grande amélioration de réussite pour Jack MILLER et Tito RABAT, qui sont passés d'une Honda, sur une Ducati, et ont terminé dixième et onzième au Qatar.
Nous sommes sur le point de découvrir à quel point il est difficile de passer sur une Honda. Au Qatar, Johann ZARCO était fortement pressenti sur deuxième moto de Repsol Honda aux côtés de Marc MARQUEZ. ZARCO s'est déjà imposé comme un talent exceptionnel. Il était une menace cohérente de podium en tant que rookie, a été le plus rapide à l'épreuve du Qatar, a pris la pole de la course d'ouverture, puis mené 17 des 22 tours, jusqu'à ce que son pneu avant l’abandonne.

Il a tous les outils dont un grand pilote a besoin : il a la précision et la douceur avec la poignée des gaz pour lui permettre de courir avec le pneu arrière le plus soft et d'en tirer le maximum. Il a l'agressivité de voir un trou de souris et d'y aller, et les réflexes pour faire en sorte que le dépassement fonctionne. Il a la machine pour faire sa propre course, et ne pas être obligé de lutter sous les conditions d'un d'autre. Il a l'intelligence de comprendre ce dont une moto a besoin, l'adaptabilité de changer son style de pilotage en conséquence, et l'objectif de bannir les distractions qui pourraient, autrement, se mettre en travers de son chemin.
Alors ZARCO sera-t-il un lemming ou un caribou sur la Honda? Il y a de bonnes raisons de s'inquiéter pour le Français. ZARCO a appris à piloter la MotoGP comme Jorge LORENZO. Cela signifie prendre beaucoup d'angle, beaucoup de vitesse en virage, et ensuite ouvrir les gaz en douceur et tôt pour obtenir un maximum de vitesse en sortie du virage.

La Honda ne fonctionne pas comme ça, cependant. La RC213V doit être brutalisée au freinage, toujours son point le plus fort, jeté dans le virage tard et redressé rapidement, en passant le moins de temps possible sur le bord du pneu. Ensuite, le pilote doit avancer son corps en poussant la moto et ouvrir les gaz, pour essayer de contrôler le wheelie.
Marc MARQUEZ est bien sûr le maître de cela. Il gère la moto avec son corps, ayant développé une compréhension profonde de la façon de changer la dynamique de la moto en déplaçant le poids de son corps autour, parfois de façon flagrante, parfois subtilement. Si ZARCO veut correspondre à MARQUEZ sur la Honda, il devra arrêter de copier LORENZO et commencer à copier MARQUEZ.

C'est un changement massif dans le style de conduite, qui pourrait facilement détruire la réputation de ZARCO s'il ne peut pas le gérer. Sa douceur avec la poignée des gaz peut aider à faire le changement, en contrôlant le wheelie avec son poignet pendant qu'il apprend les tours acrobatiques de MARQUEZ pour utiliser son poids corporel.
Si la perspective d'une moto d'usine dans l'équipe Repsol Honda est tentante, elle n'est pas sans risques. La Honda et la Yamaha sont les deux motos les plus radicalement différentes de la grille, ce qui n'est guère surprenant étant donné que leurs philosophies de conception sont diamétralement opposées. Ils nécessitent des styles de conduite et des approches radicalement différents. Si ZARCO doit battre MARQUEZ sur la Honda, il devra combiner ce qu'il a appris de LORENZO et le combiner avec les nouvelles leçons de MARQUEZ. Pour ZARCO, la ligne entre le lemming ou le caribou pourrait être très mince.
Des propos très pertinents qui ont récemment été corroborés par un certain Cal CRUTCHLOW qui a certes, toutes les raisons d’être jaloux du pilote tricolore, mais à qui on ne peut pas enlever son franc parlé, ni son expérience. Le pilote LCR a, en effet, pu chevaucher toutes les montures du plateau ou presque ce qui fait de lui une sorte d’expert en la matière. Parlant du HRC il indiquait :
« S’ils signaient Johann Zarco, je serais très déçu. Il ne fera pas sur la Honda ce qu’il est en train de faire avec Yamaha, parce qu’il ne roule pas comme il le faut pour ça.
« Bien sûr, vous pouvez apprendre certaines choses, mais cela ne va pas se passer facilement pour lui.
« D’une certaine manière, j’accueillerais le défi qu’il apporterait, mais ce serait pour la mauvaise raison – pour prouver que j’ai raison. »
En tant que Français, nous sommes tous pour que notre Johann national roule dans une équipe prestigieuse ce qu’est l’équipe Repsol Honda. Mais ne sommes-nous pas trop pressés de voir réussir notre meilleur espoir en catégorie reine en faisant abstraction de l’évidence, la Honda n’est pas une moto qui convient à tous les pilotes. Heureusement pour nous mais aussi et surtout pour le principal intéressé, Laurent FELLON veille. Gageons qu’il saura, comme toujours, prendre les bonnes décisions.